Depuis 1998, ARC International ouvre ses portes au grand public pour faire découvrir les secrets de la fabrication du verre. Mais seuls quelques privilégiés ont la chance d’accéder au pied des machines, au cœur de l’unité de production arquoise. Aujourd’hui, J’automatise est le premier à vous faire partager 25 ans d’expertise en automatismes et en robotique.
Prenez un mélange composé essentiellement de sable, de potasse ou de soude, de chaux et du groisil (verre concassé), portez le tout progressivement à un point de fusion qui se situe entre 1.300 et 1.600 degrés, et vous obtiendrez du verre en fusion. Pour le cristal, n’oubliez pas de rajouter les 24% minimum d’oxyde de plomb.
Il y a deux mille ans, les premiers verriers utilisaient la canne pour souffler le verre chaud et le transformer en un corps creux. Depuis, la mécanisation a permis de moderniser ces étapes. Et si dans la première moitié du siècle, un bon souffleur fabriquait environ 200 pièces à la journée, aujourd’hui il faut moins de 2 minutes à une machine pour produire le même nombre d’articles. C’est ainsi qu’Arc International fabrique, chaque année, plus de 2 milliards d’articles, soit 6 millions par jour et 70 toutes les secondes. Un groupe qui pesait, en 2006, 1,4 milliard d’euros de chiffre d’affaires avec 16.500 salariés dans le monde.
Le verre en fusion provenant du four est amené par un canal, appelé feeder. La goutte de verre, calibrée au poids de l’article, tombe dans le moule pour donner la forme extérieure. La forme intérieure est réalisée par un poinçon ou noyau. Des buses de ventilation refroidissent l’article avant le démoulage. Après démoulage, les produits passent devant des brûleurs qui refondent les petits défauts et donnent un bord lisse et un aspect brillant.
Dans le procédé soufflé, la goutte de verre ébauchée par pressage est soufflée dans un moule finisseur. A ce stade, la partie supérieure est surmontée d’une calotte qu’il faut supprimer. C’est le rôle de la coupeuse. A l’issue de la fabrication, les articles sont recuits pour éliminer les tensions internes du verre inhérentes au formage à chaud.
La fabrication des verres à pied nécessite une dernière étape, un verre à pied étant fabriqué en deux parties, la paraison et le pied qu’il faut assembler. Ces deux éléments sont chargés sur une soudeuse, des brûleurs permettant de souder les deux éléments. Pour que l’article soit tout à fait terminé, la base du pied, qui a une forme de cuvette, est aplatie, sous l’action des brûleurs sur une machine appelée étaleuse.
Automatiser, depuis toujours
Automatiser la production a toujours fait partie de " l’esprit maison ". Déjà dans les années 50, le travail s’effectue sur des machines automatisées, seule une équipe de souffleurs à main fabrique des brocs de canette que la machine n’arrive pas à égaler.
En 1968, c’est la révolution industrielle avec pour la première fois la production de verres à pied de fabrication automatique en véritable cristal à 24% d’oxyde de plomb. " Cette fabrication automatique, réalisée pour la première fois au monde en chaîne entièrement continue, présente de grandes difficultés et pose de nombreux problèmes qui sont loin d’être résolus. Délicate et difficile, elle offre d’autant moins de risques d’être copiée par d’autres " peut-on lire dans le journal interne de la même année. Le visionnaire, c’est Jacques Durand, le patron emblématique de l’entreprise.
Un extrait qui montre la volonté d’automatisation du groupe, mais également celle de la discrétion pour préserver les secrets de fabrication. L’ouverture au public s’est traduite par la mise en place d’un circuit de visite touristique qui accueille chaque année plus de 50 000 visiteurs mais il convient de respecter certaines règles inhérentes à la complexité et l’innovation des processus développés. Par exemple, il n’est pas possible de photographier les baies de contrôle-commande ou les armoires électriques. ARC international a mis des années à développer la fabrication mécanique du verre, impossible à maîtriser en quelques heures. Bien malin celui qui pourrait retranscrire précisément tous ces procédés.
Au début des années 80, le site dépasse les 250.000 tonnes de verre avec près de 9.000 personnes, et l’automatisation n’en est qu’à ces débuts. Seuls des Motorola 6.809, suivis de la famille des 68.000, équipent quelques machines. Un choix imposé par l’impossibilité de trouver des automates programmables aptes à répondre aux sollicitations. " Il nous fallait trouver des automates capables de supporter des cadences de 100 pièces par minute sur une machine à souffler ", précise Eric Bernamont, Développement Industriel Corporate et à l’époque patron de la robotique, sachant que l’architecture d’une machine à souffler est composée de 18 machines disposées sur carrousel tournant, chaque machine ayant une carte embarquée avec la récupération par l’intermédiaire d’un collecteur central des informations sur un système de contrôle/commande. " Seuls les systèmes VME permettaient de respecter de telles contraintes ".
Avantage de la solution Motorola 68.000 et des cartes VME, c’est la programmation en langage compilé qui répond bien à la demande maison. Impossible de décompiler les lignes de codes, un inconvénient s’ajoute néanmoins au dispositif, l’équipe automatisme s’étoffe. Il faut développer tous les drivers pour permettre aux systèmes VME de communiquer avec les moteurs brushless qui rentrent en production…. De quoi occuper une équipe bientôt formée d’une centaine d’automaticiens et électroniciens maison, pour près de 400 systèmes de contrôle/commande.
Les API rentrent. Doucement
Encore aujourd’hui les systèmes VME restent d’actualité, " nous n’avons aucun problème de pérennité avec des systèmes VME, il existe beaucoup d’entreprises utilisant à divers titres des cartes VME " tient à préciser Eric Bernamont. Mais le vent a tourné en faveur des automates programmables, au début de ce nouveau siècle.
Car si le site d’Arques reste le principal lieu de production pour le marché européen, la concurrence des pays à bas coût de production et l’effet de la parité Euros/Dollars imposent de produire au plus près des clients. C’est ainsi qu’une première usine démarre sa production en Chine, et ce sont les automates Siemens qui ont pris la place du VME. Un autre site de production est lancé aux Emirats Arabes Unis, faisant appel cette fois-ci à des automates Rockwell. En France, les nouvelles machines seront équipées d’automate Rockwell, et les applications directement liées au four avec des PCS7 Siemens.
Mais c’est le revamping qui fait plutôt partie de la stratégie du Groupe, pour l’instant une dizaine d’automates Rockwell sont rentrés dans l’usine d’Arques. De toute façon les changements ne peuvent intervenir qu’une fois tous les huit ans. Un délai égal à la durée de vie d’un four qui, une fois démarré, ne s’arrêtera jamais. Un travail 24h/24, 7jours/7 qui met à l’épreuve toutes les machines, obligées de suivre la coulée continue du verre. Lorsqu’un problème survient sur une machine, le verre peut s’écouler en cave. Certes il peut être refondu, mais aura néanmoins coûté en énergie et en manque de production. Un cauchemar que les automaticiens et les équipes de maintenance veulent éviter, ils doivent trouver des automatismes robustes avec des températures importantes en sortie de fours, des câbles et résolveurs à toute épreuve…
Des automatismes à la robotique
Pour la robotique, le chemin parcouru a été similaire à celui des automatismes. Entré en 1985, le premier robot électrique d’Acma a essuyé les plâtres. Son rôle était la dépalettisation des produits semi-finis pour la réalisation des verres à pied. Pour la production de ces derniers, deux lignes distinctes se rejoignent pour former le produit, d’un côté celle du pied, et de l’autre de la paraison (la partie contenant le liquide). Ces deux éléments sont réchauffés et une soudure sans apport est effectuée entre eux.
Assez rapidement le robot a montré l’une des failles de la robotique, à savoir un problème de polyvalence entre l’homme et la machine. En cas de changement de modèle de boîtes, la solution robotique devait être différente de celle utilisée manuellement, " il fallait des boîtes pour les lignes manuelles et des boîtes pour les lignes robotisées " se rappelle Eric Bernamont. Impossible à gérer avec 12 lignes de fours actifs et en bout de chaîne une centaine de lignes différentes avec chacune ses variantes. " L’homme a dix doigts, est doté de capteurs tactiles et visuels. Le robot avec ses deux doigts sans aucun sens ni tactile, ni visuel ne pouvait pas lutter ".
Un premier constat, mais pas de remise en cause de la robotisation. La preuve, quelques mois plus tard, ce sont trois Puma 560C Mark III six axes qui intègrent le site d’Arques. L’un des critères de choix aura été le langage de programmation VAL qui répondait le mieux aux critères d’intégration maison.
C’est également le langage qui poussa l’équipe robotique à acheter dans la foulée deux Adept One Direct Drive en version 5 axes, des mécaniques intégrant de toutes nouvelles fonctions comme le tracking et la vision. En 1989, le choix était osé, d’autant plus qu’Adept France n’existait pas encore et que tout était à créer. D’ailleurs Denis Empisse, le responsable robotique, n’est pas peu fier d’annoncer que " nos robots Puma portaient les numéros 1, 2 et 3 ".
L’idée qui avait germé dans l’esprit des développeurs, consistait à réaliser l’opération de mise en boîte des verres avec une prise en sortie d’arche de refroidissement et une mise en place directement dans les boîtes. Un challenge, car le contenant est souple et déformable, le contenu fragile et arrivant sur un convoyeur. Les premiers temps de mise au point terminés, l’équipe présenta son projet à Jacques Durand. Epoustouflé par le potentiel de la robotique, il donna le feu vert pour la réalisation d’un véritable îlot flexible intégrant les robots et permettant à partir de l’arrivée de cartons à plat d’assurer toutes les opérations de façon totalement automatique jusqu’à la boîte fermée.
Un robot Puma fut chargé de la mise en volume de la boîte, un deuxième dépliant le croisillon et l’intégrant dans la boîte. Ensuite, les deux Adept saisissaient les verres unitairement en sortie d’arche et les inséraient dans la boîte. Le dernier Puma fermant celle-ci. Un Staübli RS 156 intégra la ligne avec pour fonction l’encaissage et la palettisation des boîtes dans les cartons d’expédition.
C’est ainsi qu’au début des années 90, la Verrerie Cristallerie d’Arques faisait partie des sites, hors automobile, les plus avancés en terme de robotique à travers le monde. Déjà une dizaine de variantes de verres, des ballons, aux flûtes en passant par les coupes était mise en boîte automatiquement avec des robots.
Les premiers retours
Ce fut également la période des bilans, avec notamment des Puma fragiles dans l’environnement difficile de l’industrie verrière. L’étape suivante devait impérativement être encore plus industrielle. C’est ainsi que l’équipe robotique fit le tour des offreurs robotique et, notamment avec l’avantage du langage Karel, Fanuc devint le fournisseur officiel de la cristallerie. Un choix qui ne s’est pas démenti depuis.
Jusqu’ici, la robotique avait fait son entrée dans la partie froide, après les arches de refroidissement, avec des températures acceptables. Les techniciens de la partie chaude regardaient ces premières installations à distance avec le sourire condescendant. Jusqu’au jour où il fallut régler un problème technique en partie chaude consistant à transférer une paraison entre deux convoyeurs. C’est en moins d’une semaine qu’un premier Fanuc relève le challenge, il devient très rapidement tout noir, mais tourna 24h/24 sans souci. " C’est à ce moment là, que tout le monde demanda des robots jaunes " se rappelle Denis Empisse.
A l’époque, la robotique restait un service un peu à part, le BE ne voyait pas trop ce que p
uvait apporter la robotique, il savait très bien gérer les difficultés techniques par d’autres moyens mécaniques. La robotique devenait presque un concurrent en interne. Mais dès que la production demande l’implantation de robots, le BE suit et la robotique gagne ses lettres de noblesse. C’est ainsi, qu’aujourd’hui, le nombre de robots frôle les 150 sur le site nordiste, sans compter les systèmes de vision Cognex disposés tout au long des lignes aussi bien pour le contrôle du verre que pour guider les robots.
En 2003, Arc International connaît des pertes pour la première fois de son histoire, accentuées en 2004. Pour inverser la tendance, le Groupe met en place un plan de rééquilibrage de ses moyens de production par zone géographique pour produire en dollars ce qui est vendu en dollars. Les sites de production situés aux Etats-Unis, en Chine et aux Emirats arabes desservent alors leurs marchés respectifs. Pour maintenir le site d’Arques sur son marché naturel, l’Europe, les actionnaires ont pris la décision de lancer un plan de compétitivité en 2004 et ce jusque fin 2008. Ce plan consiste à gagner 26% de gains de compétitivité, soit la différence entre le prix des produits fabriqués en Europe et celui des articles en provenance des pays à bas coût. Ce plan s’article autour de projets clés et passe également par la mise en place d’un dispositif de préretraite.
Le couple Flexibilité et Robotique
Une réflexion est alors menée sur le service robotique et automatisme, avec à son actif l’expérience acquise au cours de ces 25 années d’existence. Pour ce dernier c’est le choix de la standardisation des nouvelles machines, pour la robotique le travail est plus complexe.
" Le problème de la robotique c’est la flexibilité " n’hésite pas à dire Eric Bernamont. En cas de changements d’emballage, la robotique n’est pas si flexible qu’elle le prétend, sauf à faire une usine à gaz. Les temps de changement restent trop longs pour des séries qui parfois se réduisent à quelques heures, " en cours de vie il était difficile d’augmenter les cadences en fonction des besoins " ; par exemple le site vient de produire 48 millions de verre en trois formes et six couleurs pour Coca Cola, des commandes épisodiques auxquelles la robotique a du mal à se plier.
Des contraintes liées au process continu de production du site existant depuis plus d’un siècle. L’une des solutions aux yeux de l’équipe d’Eric Bernamont était de casser ce type de production et d’introduire un point de découplage. En gros, séparer la partie chaude de la partie froide. Une révolution qui lors de sa présentation au comité de direction aurait pu valoir un limogeage rapide.
Le plan de compétitivité
Pourtant, c’est le choix technique qui est actuellement mis en place. Du coup, les gains en flexibilité dans le temps et dans les cadences sont en partie réglés. Des robots sont disposés en sortie des arches de refroidissements, puis prennent une ligne de verres et la dépose sur un plateau, une fois celui-ci rempli un intercalaire est déposé et une nouvelle couche réalisée. La palette de verre est ensuite acheminée vers la partie froide, avec un mixage possible entre les différentes lignes de production de verres, un découplage total permettant d’alimenter une ligne d’emballage depuis deux unités de production différentes.
C’est ainsi que déjà 40% de robots ont été déployés dans des applications de palettisation en vrac et 25% pour le déchargement d’arche. Le solde se répartissant entre les applications de trempe et celles particulières que l’usine ne montre pas encore à ses visiteurs, le secret règne encore sur une partie de la production.
Autre avantage de la solution, demain les verres pourront être emballés au plus près des clients. Cela permettra aux usines de se concentrer sur la production du verre.
Par ailleurs, d’autres solutions sont imaginées pour continuer de contribuer au développement économique de la région. Plusieurs activités potentiellement porteuses de croissance et de création d’emplois sont identifiées pour être mutualisées avec un professionnel du secteur concerné. Les compétences et les équipements mis ainsi en commun visent à développer un volume d’activité supplémentaire. C’est le cas de la chaudronnerie et de l’imprimerie, soit 200 salariés.
Le service robotique est aussi identifié comme porteur de croissance et de création d’emplois, avec ses 25 années d’expérience acquises au sein de l’entreprise. Il sera, quant à lui, filialisé pour garder au sein du groupe un savoir-faire important pour ses futurs scénarios industriels et consolider le développement commercial de l’activité. Baptisée Axe3D Robotics, la filiale réunira 10 personnes ayant mis en œuvre les deux cents robots. Dans un premier temps avant d’annoncer la décision, une étude de marché a été faite pour déterminer dans quels secteurs l’équipe serait la mieux placée pour faire partager ses compétences. C’est ainsi que l’agroalimentaire, la pharmacie et la cosmétique ont été retenus comme les trois secteurs prometteurs. Mais déjà des demandes de dépalettisation en 3D dans le monde du décolletage sont en cours d’études.
Avec un objectif de chiffre d’affaires de 2 millions d’euros pour sa première année d’existence en 2008, la filiale pourra compter sur des commandes de la maison mère pour 50% de son chiffre d’affaires. Restera à trouver les autres 50%, mais nul doute que les industriels sauront faire la différence et profiter de compétences rares que l’équipe a su mettre en œuvre. Pour une fois la société devra communiquer et non plus rester dans le secret, ce sera peut-être le challenge le plus difficile à relever.
Par Guy Fages