La servicisation désigne la transition de l’entreprise manufacturière de la vente de biens vers la vente d’offres de services associés à l’usage d’un produit. Cette servicisation constitue un changement majeur du business model de l’entreprise, en ce qu’elle transforme, parfois radicalement, sa proposition de valeur. Jeremy Jeanjean, responsable commercial senior chez IFS, explique pourquoi la servicisation permet également aux fabricants de s’affirmer comme des partenaires stratégiques indissociables de l’activité de leurs clients.
La tendance aux modèles d’abonnement et à l’achat de produits sous forme de services est bien connue des consommateurs. Ces derniers payent pour regarder des films sur Netflix ou écouter de la musique sur Spotify mais sont aussi de plus en plus incités à acheter des services d’entretien automobile, des biens de consommation et des appareils électroménagers par abonnement. Ils n’acquièrent pas la propriété des programmes ou des titres musicaux mais ceux-ci sont disponibles à volonté pour satisfaire leurs besoins de divertissement.
Si l’application de la même logique à l’industrie manufacturière peut sembler moins évidente, le concept n’est pas totalement inédit. Dès 1962, Rolls Royce proposait le remplacement de ses moteurs et accessoires d’avion pour un tarif forfaitaire par heure de vol. Son modèle « Power by the Hour » (PBH) était ainsi un pionnier de ce que nous appelons aujourd’hui la « servicisation ». Les progrès des technologies numériques permettent à un nombre croissant de fabricants de déployer des modèles similaires et de stimuler nettement leur croissance.
Pour mieux aider les industriels à diversifier leurs sources de revenus et à faciliter la réalisation de valeur, le service après-vente à valeur ajoutée a besoin d’une plateforme technologique intégrée réunissant l’EAM (Enterprise Asset Management), l’ERP (Enterprise Resource Planning) et le FSM (Field Service Management).
Evolution des stratégies de maintenance
Traditionnellement, le plus courant des types de maintenance et des modèles de service était « réactif et préventif ». Il est dit « Réactif » car lorsqu’un équipement tombe en panne, son propriétaire en demande la réparation. La maintenance préventive a tenté d’aller au-delà de cette approche plutôt simpliste en prévoyant des inspections régulières, avec remplacement planifié des pièces.
Bien qu’efficace en apparence, cette stratégie ne l’est pas vraiment. Qu’une intervention soit nécessaire ou non, les pièces sont remplacées et les équipements arrêtés pour maintenance. Il en résulte des coûts financiers et environnementaux élevés, tout comme les temps d’arrêt et la gêne pour les utilisateurs.
Pour y remédier, les fabricants ont commencé à faire appel aux technologies de l’IoT (Internet des objets) et aux capteurs pour collecter et analyser les données opérationnelles. Cela leur permet d’élaborer des modèles de maintenance « prédictive » reposant sur l’observation des faits. Ce sont ces technologies qui ont eu un impact significatif en facilitant le développement de modèles de servicisation à travers cette maintenance prédictive.
La maintenance prédictive représente une évolution vers un modèle prenant en compte l’état ou l’utilisation de l’équipement. Des capteurs en surveillent tous les aspects et les modèles les plus efficaces s’appuient sur l’IoT pour exercer cette surveillance en ligne. Ainsi seules les pièces qui en ont réellement besoin sont remplacées. Les temps d’arrêt plus courts aboutissent également à des économies non négligeables, à une réduction de l’impact environnemental et à une satisfaction accrue des clients.
La collecte des données n’est qu’une partie du problème et de puissantes techniques d’analyse sont nécessaires pour transformer celles-ci en informations pertinentes. Si l’excès de données est un réel danger, les technologies peuvent les déchiffrer afin d’identifier l’origine d’un défaut de fonctionnement. Des solutions à base d’intelligence artificielle (IA) et de Machine Learning (ML) assurent une détection performante des anomalies, en mettant en évidence les événements dignes d’attention pour permettre de déclencher les programmes pratiques de maintenance. Il est important que les utilisateurs fassent confiance aux recommandations formulées par les outils. C’est pourquoi il est important de recourir à l’IA pour réaliser des observations qui ont du sens, attirant effectivement l’attention sur une anomalie mais expliquant aussi pourquoi elle a été indiquée comme étant significative.
Disponibilité garantie
La technologie alimente également l’évolution de la maintenance, d’un modèle « prédictif » vers un modèle « proactif ». Dans ces modèles, un fabricant vend plutôt des résultats que des équipements. Par exemple, un ascensoriste ne vendra plus des ascenseurs mais la capacité pour des personnes de se déplacer efficacement à l’intérieur d’un bâtiment. Si l’exploitant du bâtiment ne s’intéresse généralement guère à la mécanique de ses ascenseurs, il est en revanche tout disposé à acheter un service garantissant leur disponibilité à 100 %.
L’IoT et les techniques d’analyse avancée des données font de ce niveau de servicisation une réalité. Cela illustre comment l’industrie manufacturière peut appliquer un modèle de servicisation similaire aux abonnements Netflix ou Spotify dont nous profitons à la maison. Cependant, pour mieux permettre aux industriels de diversifier leurs sources de revenus et leur faciliter la réalisation de valeur, le service après-vente à valeur ajoutée a besoin d’une plateforme technologique intégrée réunissant l’EAM, l’ERP et le FSM et axée sur leurs applications spécifiques. Une plateforme cloud unifiée réduit en outre le coût total de possession (TCO) et améliore à terme le retour sur investissement (ROI).
Un modèle gagnant-gagnant
En alignant les intérêts respectifs, la servicisation bénéficie à la fois au client et au fabricant. Il est désormais de l’intérêt du fabricant de produire et d’entretenir des actifs de haute qualité car c’est pour lui l’assurance de pouvoir fournir à son client un service d’exception.
La servicisation permet également aux fabricants de s’affirmer comme des partenaires stratégiques indissociables de l’activité de leurs clients. Pour reprendre l’exemple des ascenseurs, le fabricant a renforcé son rôle au sein de l’entreprise cliente car il est désormais responsable de la satisfaction des résidents en assurant leur liberté de mouvement dans le bâtiment, au lieu de se borner à réparer la machinerie.
Si ce changement de mentalité peut être difficile pour certains industriels, ceux qui franchiront le pas seront récompensés par une fidélisation accrue de leurs clients et une augmentation de leur chiffre d’affaires grâce aux abonnements. Un point de départ peut consister à arrêter de considérer le processus de vente comme une simple transaction pour y voir plutôt le début d’une relation stratégique durable et profitable pour les deux parties.