Se parler, c’est bien ; se comprendre, c’est mieux. Dans la jungle inextricable de la communication entre composants industriels, des normes et des solutions techniques émergent, parfois peu connues, mais déjà implémentées ou en test sur le terrain.
« Quels supports, quels services et quels retours d’expérience pouvons-nous prendre en compte pour utiliser les réseaux de communication du 21ème siècle ? » C’est la question que s’est posé le Club Automation lors de sa dernière journée, consacrée aux réseaux et outils de communication industrielle. L’interrogation est légitime, car si dans ce domaine, les choses avancent tous azimuts, les exigences des clients finaux, elles, sont très concrètes. Leur besoin le plus impérieux ? L’interopérabilité. A l’heure où les systèmes décentralisés se généralisent, où le moindre capteur, le moindre composant d’une ligne est connecté au système central, et à l’aube de l’ « Internet des objets », qui permettra à chacun d’envoyer des informations aux autres à tout moment, cette caractéristique devient en effet essentielle.
Le réseau électrique a sa norme
Dans le monde des réseaux électriques, « la tendance est à la décentralisation des automatismes, au temps réel et l’interopérabilité est indispensable pour les futurs réseaux smart-grids », note Eric Savary, président de Euro System. Alors pour gérer les communications entre les IED (intelligent electric devices) des sous-stations électriques et la couche de supervision, afin de protéger le réseau et d’assurer le contrôle commande, la profession peut désormais s’appuyer sur une norme : l’IEC 61850. Ce qu’elle apporte ? La convergence vers un modèle de données commun, la diminution du nombre de protocoles utilisés, la réduction des couts d’ingénierie, mais aussi un modèle de données unique à maîtriser et une certaine banalisation du matériel… Et son périmètre ne cesse de s’élargir. « Le standard a été défini pour les architectures de haute et moyenne tensions et s’ouvre désormais à l’éolien. L’objectif est de toucher ensuite les smart-grids », poursuit le président d’Eurosystem.
Techniquement, l’IEC 61850 est basée sur une modélisation objet à partir d’un dictionnaire des données du domaine électrique et un protocole de communication unique, basé sur Ethernet.
Pour remplacer les communications filaires, des communications coexistent entre les trois niveaux de la structure (la supervision, les IED et les unités de mesure) et plusieurs services de communication coexistent au sein du réseau : les Message Manufacturer Specification (mms), de type client-serveur, ne présentant pas de criticité temporelle et utilisant les couches TCP/IP ; les goose (generic object oriented substation event), messages temps réel envoyés entre les IED et qui court-circuitent la couche TCP/IP ; et les Sampled values, autres messages temps réel transportant des données échantillonnées et passant outre le TCP/IP.
Goose, des messages clés
Les messages goose, en particulier, sont très importants car « ils permettent une communication directe entre les équipements, en particulier avec des équipements de protection pour lesquels les temps de réponse sont critiques », note Fanny Clavel ingénieur R&D chez Eurosystem. Replaçant des communications filaires point-à-point, ces messages ne fonctionnent pas sous le mode client-serveur mais en publication/souscription.
Autrement dit, le message est envoyé par l’IED à tous les destinataires potentiels, sans mécanisme d’acquittement, à différentes fréquences en fonctionnement normal et lors des changements de situation. Ils sont donc répétés tant que la condition d’origine existe.
Se soumettre à l’IEC 61850 passe par des étapes clés : il faut d’abord récupérer les fichiers de données constructeurs (des données électriques hiérarchisées au format xml). Ensuite, il faut configurer la communication des appareils. L’utilisateur doit alors définir tous les paramètres du réseau, définir les paramètres des messages goose, les reports… La difficulté : cela implique des acteurs du contrôle-commande et de la protection électrique et, surtout, « les méthodologies conventionnelles d’intégration sont remises en cause par le standard CEI 61850. Il est nécessaire de valider, dès l’avant-projet, les exigences de la norme et pour cela, disposer des outils adéquats », déclare Fanny Clavel. Et cette vérification est réalisée en statique, mais aussi en dynamique, afin de contrôler les performances du système et sa capacité à transmettre des messages goose en moins de 4 ms.
Pour assurer cette vérification et cette validation, Eurosystem a développé sa propre plateforme de simulation multi-réseaux et multi-constructeurs. Cet outil permet de mélanger des informations issues du monde réel et simulées afin d’évaluer le plus efficacement possible la performance des systèmes.
Le standard qui monte
La norme CEI 67850 est très utilisée. « On compte déjà plus de 6000 installations et 400000 équipements en service dans le monde pour le contrôle, la supervision, la protection, la mesure et la gestion de la qualité des réseaux électriques », note Bruno André, responsable marketing de l’offre automation chez Schneider Electric. Afin de pouvoir faire évoluer ses architectures électriques sans contrainte vis-à-vis du choix des constructeurs, de s’appuyer sur un réseau type Ethernet, de bénéficier de temps d’intégration réduits et d’une maintenance simplifiée, le Syndicat Interdépartemental pour l’Assainissement de l’Agglomération Parisienne (Siaap), par exemple a opté pour la mise en œuvre des réseaux de communication inter-équipements en appliquant la CEI 61850.
Pour autant, « cette norme est adaptée autant aux architectures centralisées que distribuées et constitue une base fonctionnelle pour la réalisation de réseaux électriques intelligents intégrant la production, la consommation et l’optimisation énergétique, commente Bruno André. Mais ce n’est pas de l’eau bénite. En particulier, elle ne gère pas la totalité des équipements, dont les automates ».
En outre, si cette norme ne se préoccupe pas de l’architecture physique, elle se focalise sur l’architecture logique, sur la façon de gérer les informations entre les équipements. Et « l’architecture logique est plus complexe puisqu’elle fait intervenir des connexions client-serveur, des messages goose, des données non CEI 61850… Elle gère aussi les modes dégradés, les avalanches et intègre la cybersécurité. Il faut impérativement adopter une approche globale et structurée », note Bruno André.
Réduire les coûts
Les bénéfices liés à la CEI 61850 sont nombreux. A commencer par les coûts. « Les projets sont moins chers car les goose remplacent des câblages directs et le temps d’intégration est réduit. En outre, la sécurité est accrue car la norme intègre la cybersécurité [assurée au travers de standards intégrés à la norme comme ISA 99, IEC 62351 et IEEE 1686, par le serveur de sécurité qui gère les droits des utilisateurs et distribue les droits aux IED et synchronise les informations entre sous-systèmes. En outre, la communication Ethernet est elle-même sécurisée via des passerelles de sécurité et un pare-feu, Ndlr], explique Bruno André. En outre, elle induit le libre choix des fournisseurs grâce à une interopérabilité fonctionnelle certifiée. Enfin, la CEI offre une garantie dans le temps de compatibilité ascendante et s’appuie sur Ethernet qui est une technologie pérenne ».
La grande difficulté actuelle ? « La performance des goose, reconnaît Bruno André. Entre l’envoi et le traitement par le récepteur, il se passe du temps qui dépend du réseau physique et du chemin dans le cas de réseaux redondants ». D’où l’intérêt de démarches structurées et de l’emploi de plateformes de validation telles que celle d’Eurosystem.
OPC-UA, passerelle universelle ?
Pour communiquer sans difficulté, on peut aussi emprunter des passerelles entre les différents mondes tels que OPC-UA (OPC open product connectivity – unified architecture). Celle-ci est cependant particulière. « OPC-UA est une évolution majeure d’OPC (OLE for Process Control) qui vise, contrairement aux précédentes générations de standard OPC, la portabilité sur plusieurs plateformes », note Tuan Dang ingénieur de recherche à EDF R&D.
Conçue pour relier les niveaux 2 et 3 (via des échanges client-serveur) et développer des applications de niveau 2, cette technologie qui trouve sa source chez Microsoft « offre une architecture unifiée et multiplateformes et un méta-modèle qui permet d’unifier les différents modèles d’information d’OPC existants et de construire des passerelles de transformations d’un modèle de données à un autre », poursuit Tuan Dang. Différents profils correspondent à chacun des niveaux visés. Pour la communication de bas niveau, on emploiera ainsi le profil « binary ua natif » et pour les échanges avec les MES, les ERP ou l’intégration dans le SI de l’entreprise, les profils « binary ua sur soap » et « web service xml ». La construction des échanges passe par un méta-modèle (UAnodeSet.xsd), ou modèle « pivot », constitué de nœuds auxquels l’utilisateur souscrira en fonction de ses besoins.
EDF essuie les plâtres
En France, EDF expérimente l’utilisation de ce standard dans le cadre d’un projet intitulé « démonstrateur multi protocoles OPX-UA/binaire RTE/TASE2 » réalisé par sa filiale RTE. Artère, le réseau de téléconduite de RTE, s’appuie en effet sur des protocoles propriétaires et le transporteur français d’énergie compte désormais utiliser des protocoles normalisés et mettre en œuvre des scada du marché, en limitant les développements propres. Le projet compte deux phases. La première, terminée fin 2011, portait sur la construction d’un démonstrateur « Serveur OPC UA/client binaire RTE ». Durant cette étape, RTE est monté graduellement en puissance, passant d’un jeu de 10000 à… 10000 nœuds (on parle de nodes ID)! La seconde phase, quant à elle, vise la mise au point d’un démonstrateur « OPC UA / client Tase2 » pour fin 2012. « Il a fallu décrire la structure de données « téléconduite RTE » dans le modèle OPC-UA, développer des outils et les tester, se souvient Rolland Tran Van Lie, expert en télécom et téléconduite chez RTE. Actuellement, nous effectuons des tests de performance, notamment sur les temps de traversée ».
L’avenir est en marche. Avant de voir ce standard se développer, il faudra cependant passer outre un obstacle de taille : les réticences de certains automaticiens à travailler sur une technologie provenant du monde Microsoft…