Depuis près d’un an, un grand nombre de moteurs électriques basse tension doivent satisfaire aux exigences de la directive sur les rendements et l’écoconception. Les fabricants regardent déjà vers les prochains niveaux et les solutions techniques nécessaires pour les atteindre.
Souvenez-vous, le 16 juin 2011 entrait en vigueur le règlement 640/2009 de la commission européenne imposant la mise sur le marché de moteurs à haut rendement. Selon cette directive, en Europe, tous les moteurs électriques asynchrones basse tension à 2, 4 et 6 pôles et puissance de 750 Watts à 375 kW et fonctionnant en service continu doivent présenter un rendement de classe IE2, défini par la norme IEC 60034-30. Et ce n’est qu’un début. En effet, la directive prévoit encore d’autres étapes accompagnées d’exigences toujours plus fortes. Ainsi, après les moteurs IE2 imposés l’an dernier, au 1er janvier 2015, les moteurs de 7,5 à 375 kW devront tous être de classe IE3 (ou de classe IE2 avec commande en vitesse variable). Et au 1er janvier 2017, cette condition s’appliquera à tous les moteurs de 750W à 375 kW.
Un énorme parc impacté
Les exceptions à la règle sont nombreuses. Les moteurs dimensionnés pour fonctionner en immersion totale, ceux totalement intégrés dans une machine, les modèles Atex, les moteurs freins, et les modèles destinés à fonctionner à certaines altitudes et sous certaines conditions de températures, sont ainsi exclus du champ d’application de la réglementation. Mais le nombre de moteurs concernés est important et la machine du changement est en marche. « Globalement la directive touche 50% du parc installé et en un an, la moitié a basculé en haut rendement », déclare Jean-François Soguel, chef de produit chez Leroy Somer. Confirmation chez Siemens, chiffres à l’appui : « dans les moteurs en aluminium, destinés à des applications standard (pompage, ventilation…), depuis juin 2011, nous avons vendu 5400 modèles IE1 et plus de 8000 IE2 », déclare Mohamed Belhassaine, chef de produit chez Siemens.
IE1 à IE2 : facile
Le défi pour les constructeurs de moteurs ? Il a été surtout logistique, pour déterminer les quantités à produire dans chaque classe, afin de s’adapter au basculement plus ou moins tardif selon les pays. A noter, certains pays comme la Russie acceptent encore sans restriction les moteurs IE1… L’aspect technique, lui a été plus facile à gérer. Concrètement, pour un moteur à 4 pôles de 4 kW, le passage du niveau IE1 à l’IE2 se traduit par une augmentation du rendement de 83,1 à 86,6%. Et pour l’ensemble des moteurs concernés, l’écart d’une classe à l’autre s’élève à 5 % en moyenne. Pour les fabricants, cela n’a pas représenté une difficulté. « En IE2, la technologie reste classique, confirme note Régis Buchmann, responsable de l’activité moteurs basse tension chez ABB. Les moteurs demeurent des moteurs asynchrones classiques à rotor en aluminium et bobinage traditionnel. » L’usage de matériaux de meilleure qualité et l’augmentation de quantité de cuivre dans les bobinages ont, la plupart du temps, suffi à atteindre les rendements exigés. En outre, d’autres pays comme les Etats-Unis, le Canada, le Mexique, et même la Chine et l’Inde ayant déjà instauré des réglementations équivalentes, la plupart des fournisseurs avait déjà au catalogue des modèles adéquats.
Reste que ce changement a des conséquences non négligeables. D’abord, si les dimensions normatives comme les emplacements des fixations des moteurs restent inchangées, « en moyenne, la longueur du moteur augmente de 7% et le poids de 15% entre l’IE1 et l’IE2 », déclare Régis Buchmann. Quant au prix du moteur, « l’écart est plus important pour les petites tailles car ils contiennent proportionnellement davantage de cuivre et de tôles magnétiques mais en moyenne, les écarts de prix varient de 10 à 25% », poursuit le chef de produit. Pour contenir les prix de leurs équipements et éviter de revoir leurs conceptions pour intégrer des moteurs plus volumineux, certains constructeurs de machines (EOM) ont constitué de gros stocks de moteurs IE1 avant la date butoir. Certains cherchent, maintenant encore, à échapper à la directive en employant des moteurs IE1 avec des plaquages spécifiques, ou en leur associant des commandes à vitesse variable. D’autres se livrent même à des abus… sans grand risque, puisqu’en France, contrairement à d’autres pays, aucun contrôle n’est organisé sur les installations. Et en cas de fraude avérée, c’est le fabricant qui se voit tenu de retirer tous les moteurs vendus depuis le 16 juin 2011. L’EOM et l’utilisateur final, eux, ne risquent presque rien… « L’épée de Damoclès est sur le fabricant, pas sur l’utilisateur », résume Jean-François Soguel.
IE3 : moins évident
Désormais, les fabricants de moteurs et leurs clients ont les yeux rivés sur l’échéance du 1er janvier 2015, qui marquera le passage à l’IE3 pour une grande partie des moteurs. Là encore, certains s’annoncent prêts. « Nous commercialisons déjà des moteurs IE3. Car certains clients ont fait le choix de ne pas passer par la case IE2, compte tenu de la charge trop importante en terme de reconception dans un délai assez court », note Régis Buchmann. Mais pour gagner les quelques pourcents de rendement supplémentaires, les efforts de R&D à consentir sont plus importants. « Nous restons encore sur des technologies classiques, mais il faut calculer au plus jute les paramètres, optimiser la qualité des matériaux, notamment en utilisant des tôles magnétiques de meilleure qualité », note le chef de produit. Siemens a, lui aussi, fait le nécessaire et se déclare déjà prêt. Mais « la problématique est la même : il faut toujours plus de cuivre donc les moteurs sont plus long et plus chers », reconnaît Mohamed Belhassaine.
Chez Leroy somer, « compte tenu de l’échéance assez courte, nous avons adapté nos gammes EFF1 pour réaliser des modèles IE2 et nous avons concentré la R&D sur l’IE3. Sur ces modèles, nous avons revu la conception des tôleries et des bobinages et optimisé le refroidissement. Pour le rotor, nous regardons si nous devons rester sur de l’alu ou passer au cuivre et/ou rajouter des amants. Le souci, c’est qu’il faut faire des compromis. Un très bon rendement se fera souvent au détriment du courant de démarrage, nous faisons des essais pour trouver les meilleurs compromis techniques et économiques », explique Jean-François Soguel.
Des constructeurs explorent également d’autres solutions comme le passage aux aimants permanents, mais cela ne s’avère manifestement pas incontournable à ce niveau de performances. Le vrai défi de l’IE3 est ailleurs : comment faire passer auprès des clients une nouvelle augmentation de parfois plus de 10% des prix ? Chez SEW, « nous sommes désormais en classe IE3 sur toute la gamme », annonce Christian Sibileau. Aux séries DRS (IE1) et DRE (IE2), le fabricant a ainsi ajouté des DRP à très haut rendement, dotés de rotors à cages en aluminium ou en cuivre. Pour convaincre les clients, il faut parler finances. « C’est plus cher à fabriquer mais le retour sur investissement est rapide », note Christian Sibileau. En effet, sur le coût global d’exploitation d’un moteur, son prix d’achat ne pèse généralement que quelques pourcents. Compte tenu des économies d’énergie obtenues, il est donc souvent possible d’obtenir des retours sur investissement de deux ans ou moins. Les utilisateurs sont plutôt réceptifs à ce discours sur le coût total de possession. En revanche, pour les intégrateurs, qui cherchent toujours à limiter les hausses de prix d’achat sur leurs machines, la pilule est plus difficile à avaler…
L’autre solution technique ? Utiliser un moteur IE2 commandé par vitesse variable. C’est autorisé par la directive et ce sera sans doute la solution privilégiée par bon nombre d’EOM et d’intégrateurs…
Le défi de l’IE4
La suite logique de ces évolutions passera sans doute par une classe IE4. Rien n’est encore formellement défini, puisque l’étude de cette classe doit seulement débuter en 2017. Reste que compte tenu de ce que l’on peut savoir de ce futur niveau de rendement, « actuellement, aucun fabricant ne sait faire un moteur IE4 asynchrone », déclare Mohamed Belhassaine. Pour passer le cap, des sauts technologiques sont incontournables. La solution privilégiée : le passage aux rotors à aimants permanents donc, à des moteurs synchrones. Siemens explore cette voie. « Ces technologies utilisent davantage de matériaux actifs, [les fameuses terres rares]. Cela va donc sans doute encore bouger car les terres rares coûtent cher. Nous cherchons des solutions alternatives », annonce Christian Sibileau. ABB, pour sa part, étudie également la voie de la reluctance variable, qui permet d’éviter les problèmes liés au coût des terres rares. Et bien sûr, tout le monde se tourne vers la vitesse variable.
Selon les fabricants, les premiers modèles IE4 devraient arriver dès cette année. Avec un avantage certain pour les utilisateurs. « Nous allons nous servir des gains énergétiques pour augmenter la puissance, sur des moteurs high Output », déclare Régis Buchmann. Ces modèles devraient sortir sous la désignation M3 BL. C’est également ce que fait Leroy Somer avec ses modèles haute puissance à aimants permanents de la série Dyneo LSRPM. Selon le fabricant, « La technologie brevetée du rotor à aimants radiaux permet, en réduisant les pertes rotoriques, d’augmenter le rendement et la puissance massique de la motorisation ».
Deux gros obstacles
Des moteurs qui pourraient jusqu’à doubler la puissance par rapport à des modèles d’ancienne génération ? Les OEM vont adorer. Sauf que ces moteurs ne seront pas normalisés… Mais surtout, outre le fait que la classe IE4 n’existe pas encore, les méthodes de mesure qui permettront de certifier les moteurs, qui seront décrites par la norme IEC 6034-30-2, ne sont pas gravées dans le marbre non plus. Et pour cause. « Mesurer le rendement d’un moteur est relativement facile, en revanche, pour un ensemble moteur + variateur de vitesse, quelles pertes faut-il prendre en compte ? I n’y a pas de standard validé », regrette Régis Buchmann.
Va-t-on vers un IE5. Certains l’évoquent. « Pour le client final, la démarche d’économie va atteindre ses limites. On s’arrêtera sans doute à l’IE4 », tempère Mohamed Belhassaine. La réglementation devrait cependant s’élargir. Selon Jean-François Soguel, de Leroy Somer, qui participe activement aux travaux, « nous envisageons de rajouter les moteurs à 8 pôles dans la norme et d’élargir les puissances concernées », déclare-t-il. En outre, « on ne va pas s’arrêter aux moteurs asynchrones. Les moteurs synchrones avec variateur seront également ajoutés ». A condition qu’il existe une norme pour mesurer les rendements de ces ensembles…