Faire des discours sur les vertus de la
relocalisation et la force du « made in France », c’est bien, mais le
prouver et agir, c’est encore mieux. L’Etat l’a bien compris et a commandité
une étude décryptant la démarche de trente entreprises
« relocalisatrices » et le développement d’un logiciel d’autodiagnostic pour la relocalisation.
Fini le
discours, place à l’action. Pour redonner de la vigueur à l’industrie dans
l’Hexagone, l’Etat, par le truchement de son Ministère du redressement
productif, veut aider les entreprises à « faire le choix de la
France » pour leurs usines. L’idée est simple : les Etats-Unis et le
Suède le font ; nous le pouvons aussi. « Nous avons décidé de nous
donner les moyens d’accompagner durablement ce phénomène pour renforcer la
« base industrielle France », en mettant en place des outils
techniques opérationnels et des moyens humains efficaces », annonçait
ainsi Arnaud Montebourg, le 14 juin dernier, lors du lever de voile d’une
nouvelle opération intitulée : « Le choix de la France ».
Une étude qui prouve
Première
action lancée par l’Etat : une étude concrète qui décortique les
mécanismes de la relocalisation. Commanditée par la DGCIS (Direction générale
de la compétitivité, de l’industrie et des services), la DATAR (Délégation
interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale)
et le PIPAME (pôle interministériel e
prospective et d’anticipation des mutations économiques), cette étude réalisée
par le cabinet Sémaphores et le professeur E.M. Mouhoud auprès de 30
entreprises pour la partie « terrain » et en s’appuyant sur des
statistiques fines de l’INSEE pour l’analyse économétrique, met en exergue
trois grands types de relocalisations : les relocalisations d’arbitrage
(concernant surtout des grands groupes à l’occasion de nouveaux projets), les
retours après délocalisation, à l’occasion d’un lancement de gamme par exemple,
et des relocalisations de développement compétitif, concernant des PME qui se
sont créées d’emblée en confiant leur production à l’étranger et choisissent de
poursuivre leur développement en produisant en France.
Selon
l’étude, cinq logiques économiques – combinables – conduisent à ces démarches
de rapatriement de production sur le sol national. La première est la logique d’optimisation
de la production (de site). « Il s’agit généralement de saturer les sites
existants, dans une logique de développement de la production ou d’optimisation
des capacités de production ou de recherche », indiquent les rapporteurs. La
deuxième est une logique de repositionnement dans la chaîne de valeur, qui
passe par « l’intégration et l’optimisation de la chaîne de valeur de
l’entreprise, dans un esprit de renouvellement des gammes, de différenciation,
d’innovation, et d’amélioration de rentabilité ». Vient ensuite la logique de « sécurisation
d’un d’écosystème qualitatif et créatif », qui implique un travail en
réseau, puis la logique de valorisation et de communication sur le
« fabriqué en France ». Enfin, il existe bien sûr une logique de
coûts, « pas uniquement des coûts de production, mais plutôt de l’ensemble des
coûts associés à une production lointaine ». On parle là d’inflation
salariale et d’évolution des parités monétaires et des coûts de transport et de
logistique, mais aussi de coûts cachés de la délocalisation : reprise des
malfaçons, surstockages, aléas de livraison, lutte contre la contrefaçon…
Des exemples frappants
Pour son
étude, le cabinet Sémaphores s’est concentré sur une trentaine d’entreprises
représentatives de ces démarches, qui font figure de modèles. A l’image de
L’Oréal dont, selon le PDG Jean-Paul Agon, 25 à 27% de la production mondiale
et 75% de la recherche mondiale sont assurés en France. « En 2008-2009, la
division des produits de luxes a été confrontée à une baisse momentanée des
quantités mondiales. Nous avons fermé plusieurs sites en Europe et concentré
notre production dans trois usines dans le nord de la France autour de
Saint-Quentin (Aisne) auxquelles nous avons rajouté une centrale d’expédition
pour approvisionner le monde entier », explique le PDG. « Un des
grands avantages, c’est la compétence des collaborateurs. Dans les produits de
luxe, le savoir-faire est très important. Le fait de concentrer tout sur un pôle
engendre aussi des progrès en matière de compétitivité, de productivité,
performance, qui vous permettent d’être très compétitifs par rapport à
n’importe quel lieu de production dans le monde. Enfin, nous pouvons capitaliser
sur le « made in France » », commente-t-il.
Beaucoup
plus petit, Eminence se définit comme « la seule entreprise spécialisée
dans le sous-vêtement masculin à avoir des usines en France ». « En
2012 notre chiffre d’affaires a chuté de 142 à 130 millions d’euros. Le choix
était simple : faire du chômage partiel et délocaliser, ou rapatrier les volumes
d’Asie et du Maghreb pour faire tourner les usines françaises à un niveau
suffisant », raconte Dominique Seau, le PDG. Le patron a choisi la seconde
voie et ne le regrette pas. « Nous avons 540 employés en France, dont 275 emplois
industriels dans le Gard. 90% sont des cols bleus avec un grand savoir-faire. Ils
sont bien meilleurs que des ouvriers dans des pays de délocalisation et sont
polyvalents », explique-t-il. Et surtout, « disposer d’un outil
français nous permet d’avoir une réactivité en deux ou trois jours en cas d’urgence,
contre deux ou trois mois en Asie. Si nous ne livrons pas le client en une
semaine, nous avons parfois des pénalités qui s’élèvent à 50% de la valeur du
produit non livré. Nous préférons donc payer plus cher des ouvriers qualifiés
que de payer les clients parce qu’on ne les a pas livrés », déclare Dominique
Seau. Et le PDG de mettre en avant un autre avantage clé : « en
gardant nos usines en France, nous gardons un savoir-faire industriel qui
permet, quand on délocalise pour faire de l’entrée de gamme, de parler d’égal à
égal avec des industriels, d’auditer leurs lignes pour garantir la qualité et
le meilleur prix ».
En 2001,
après une fermeture pour liquidation, la société Loiselet, à Dreux (Eure-et-Loir),
a travaillé exclusivement avec des sous-traitants en Chine. Lassé des problèmes
de qualité et de délais et, surtout, handicapé par des coûts de transports
maritimes s’élevant à un million d’euros par an, le PDG Sylvain Loiselet a
cherché une solution dans l’automatisation de son site français. Résultat : « en
Chine, il faut 30 personnes pour faire 50 tonnes de métal liquide et produire
1000 pièces par jour. A Dreux, trois personnes suffisent pour produire deux
fois plus, grâce à l’automatisation », explique le patron français. Mieux,
grâce à cette relocalisation, les commandes de l’entreprise familiale explosent
en Europe.
Le
spécialiste du jouet Meccano a lui aussi fait le choix d’une production nationale
à Calais, couplée à de la sous-traitance en Chine. Un choix justifié puisque « produire
en Chine nous a ouvert le marché américain, nous a permis de développer des
produits plus techniques et électroniques et de nous couvrir sur la
problématique de change euro/dollar », note Michaël Insberg, patron de
l’entreprise. Pour autant, cette démarche a progressivement réduit l’activité
en France, poussant l’entreprise à automatiser sa production nationale. « Le
salarié chinois est encore 8 à 10 fois moins cher que le français mais dans certaines
régions, la main d’œuvre sous-qualifiée est compliquée à obtenir, les prix
augmentent et les délais deviennent insupportables. A Calais, nous sommes plus
flexibles et nous réagissons plus rapidement sur des périodes plus
courtes », insiste Michaël Insberg. Enfin, avec d’autres fabricants de
jouets, Meccano communique fortement désormais sur la notion de « fabriqué
en France ». La démarche fonctionne puisque une grande chaîne de grandes
surfaces devrait mettre leurs produits en valeur à la fin de l’année, autour de
cet argument.
Rossignol,
enfin, est un autre exemple de renaissance en France. En grandes difficultés en
2008, l’entreprise s’est restructurée en 2009, mais a conservé ses 4 usines,
dont deux en France. Profitant du faible poids de la main d’œuvre directe sur
le prix moyen de ses produits (10% environ) et soucieuse de pouvoir répondre
aux besoins des clients pendant la saison haute, l’entreprise a relocalisé la production
des skis « juniors » sur son site de Sallanches en 2010 pour un
démarrage de la production en mars 2011, avec une seconde étape en 2013. La
production de 75000 paires de skis a ainsi été réintégrée en France en 2011, et
20000 paires supplémentaires en 2013, avec un coût direct des produits réduit
de 15%, en particulier en coûts de transports et de droits de douanes. Selon le groupe, sur les 37 embauches
réalisées en 2011 à Sallanches, 25 sont directement liées au surcroît
d’activité généré par cette relocalisation. Et au passage, l’entreprise a réalisé
un gain de plus de 40000 kg équivalents CO2
sur son bilan carbone…
De nouveaux outils
Toutes les
entreprises de l’Hexagone dont les productions se font ailleurs peuvent-elles
suivre ces exemples ? Pour le savoir, l’Etat a fait développer un outil
dédié : Colbert 2.0, logiciel d’autodiagnostic pour la relocalisation. L’application
repose sur un questionnaire « simple et concret couvrant l’ensemble des
problématiques de la relocalisation ». Les 50 questions posées sont ainsi rattachées
aux 5 motivations économiques de la relocalisation et aboutissent, pour
l’entrepreneur, à un score mesurant le potentiel de relocalisation de sa
société, globalement et dans chaque logique
de relocalisation. Enfin, l’outil lui décrira un parcours à suivre, programme
d’actions dans lequel l’entreprise va
pouvoir s’engager, en appuyant sur les « 12 leviers d’actions pour un
projet de relocalisation ». Pour finir, Colbert 2.0 renverra l’industriel
vers l’interlocuteur désigné par l’Etat pour l’accompagner, accélérer et simplifier
les aides à sa disposition. Au passage, l’entrepreneur pourra également
consulter un exemple de relocalisation similaire, voire être orienté vers un
mentor. Encore un peu de patience, le logiciel sera en ligne dès cet été.