Recherche-innovation

La quatrième révolution industrielle vit sa mondialisation

La plupart des grandes
puissances économiques
mettent en place des
politiques pour aider leurs
entreprises à accomplir
le bond qui doit conduire
l’industrie à tirer le meilleur
parti de la digitalisation.
L’usine connectée sera demain
capable de produire des
biens et des équipements en
s’inspirant directement des
besoins des clients et donc, de
la demande réelle du marché.

Initié par l’Allemagne en 2011, le
concept d’Industrie 4.0 – autrement
dit, 4ème révolution industrielle – fait
florès à travers le monde sous différentes
variantes et déclinaisons comme notre
politique dites, d’Industrie du Futur
en France ou le Smart Manufacturing
Outre-Atlantique et au Royaume Uni.
Les promoteurs de ces politiques de
renouveau industriel partagent la vision
d’usines flexibles, intégrées, connectées,
en deux mots, rendues agiles grâce
notamment au déploiement intensif de
technologies numériques.

Les actions mises en place pour accompagner
les entreprises vers l’industrie
du futur se déclinent autour de trois
thèmes : le développement de l’offre de
technologies liées à l’industrie du futur,
le soutien à la modernisation de l’appareil
de production et le développement
des compétences pour faire face à ces
transformations. Bien que la plupart
des acteurs aient des visions proches
sur les évolutions que devrait connaitre
le secteur industriel, les politiques
déployées varient significativement selon
les pays.

L’Allemagne en fer
de lance

Au cours des dernières années, l’Allemagne
a pris conscience de la menace
qui pesait sur son industrie, prise en
étau entre des concurrents coréens
ou chinois toujours plus sérieux et
les géants américains du numérique
s’insinuant progressivement dans le jeu
industriel.

Le gouvernement allemand a pris soin de
mûrir la réflexion, en veillant à y associer
les acteurs du monde économique et
de la recherche. Dans leur approche,
ces derniers ont identifié les principales
tendances de société, les évolutions
des modes de consommation avant
d’imaginer leur impact sur les modes
de production.
L’objectif affiché du programme
Industrie 4.0 est de développer au sein
des industries allemandes des systèmes
de production cyber-physiques, fondés
en amont, sur une modélisation numérique
de l’ensemble des processus de
production ainsi que sur des échanges de
données, en cours de fabrication, entre
les produits et machines d’une part et
entre différents acteurs de la chaîne de
production de l’autre.

Concrètement, ce programme consiste
à organiser et à financer la recherche
dans le domaine de la robotique industrielle,
de l’automatisation ou encore,
de la mise en réseau, avec le souci de garantir l’avance de l’Allemagne. Dans ce
cadre, l’État allemand se place dans un
rôle de facilitateur plutôt que de stratège
et les représentants des mondes académique
et économique – notamment les
constructeurs de machines ainsi que les
fournisseurs d’automatismes – restent
largement à la manoeuvre.

Prendre le train du
renouveau industriel

La France, le Royaume-Uni et les
États-Unis forment certainement la
catégorie la plus hétérogène parmi les
pays engagés dans la 4ème révolution
industrielle mais ils ont en commun
d’avoir vu leur industrie se déliter au
cours des dernières décennies.

Avec l’initiative appelée, Industrie du
Futur, la France s’est engagée dans
un vaste programme de soutien à
l’investissement qui doit accélérer la
modernisation de l’appareil productif.
Il vise à combler le retard des entreprises
en matière de robotisation et à
les inciter à adopter les outils numériques
pour s’adapter aux nouveaux
usages des consommateurs et gagner
en compétitivité.

De leur côté, les États-Unis et le
Royaume-Uni ont eux aussi connu un
effondrement de la part industrielle
dans leur produit intérieur brut depuis
la fin des années 1970. Leurs réponses
n’en ont pas moins été radicalement
différentes, en raison de leurs habitudes
respectives en matière d’intervention
publique. Plutôt que de recourir à un
plan d’urgence, ils ont préféré promouvoir
les technologies d’avenir en
améliorant l’interface entre les instituts
de recherche et le monde économique.
Ces recherches portent notamment
sur les nouveaux matériaux et procédés,
la numérisation n’étant qu’une
composante du Smart Manufacturing.

Aux États-Unis, c’est suite à la publication
d’un rapport inquiétant concernant
la concurrence croissante à laquelle
était soumise l’industrie américaine sur
les activités de haute technologie que
le gouvernement fédéral a engagé les
actions qui ont conduit à la création du National Network for Manufacturing
Innovation (NNMI) en 2013. Doté
d’un budget d’un milliard de dollars
sur huit ans, il vise à l’émergence de
quinze Institutes for Manufacturing
Innovation à court terme avec l’objectif
d’en voir fonctionner quarante-cinq
d’ici 2025. Ils développent chacun une
spécialité technologique tout en se
coordonnant de manière à offrir des
compétences larges aux entreprises
et ils rassemblent des chercheurs,
des conseillers du gouvernement et
des industriels. Les spécialités technologiques
recouvrent largement les
technologies centrales de l’usine du
futur comme l’intégration et l’optimisation
de la chaîne de production par
les données ou la fabrication additive,
auxquels s’ajoutent des programmes
de recherche dédiés aux semi-conducteurs
et aux matériaux composites ou
à faible densité.

Depuis 2013 au Royaume-Uni, l’outil
politique en faveur de l’innovation et
du développement industriels prend
la forme de l’Industrial Strategy. Il vise
à mettre en réseau des centres de
recherche déjà existants afin de faire
bénéficier les entreprises industrielles
de la recherche de pointe britannique.
Les thèmes des projets sont retenus
sur la base de plusieurs critères, parmi
lesquels notamment l’existence de
moyens de recherche de pointe ou
la possibilité d’attirer des entreprises
internationales sur le territoire britannique.
Les technologies retenues ne
se limitent pas à l’automatisation, à la
production flexible ou aux systèmes
numériques appliqués à l’industrie
mais portent aussi sur les nouveaux
matériaux, le traitement de surface.

Grande absente de la plupart des
autres initiatives, la question de
l’adaptation des compétences face aux
transformations induites par l’industrie
du futur semble davantage être prise
en compte aux États-Unis et surtout
au Royaume-Uni. En coordination
avec le ministère de l’Éducation, le
gouvernement britannique a mis en
place un fonds, l’Employer Ownership
of Skills Pilot, qui offre la possibilité
à un large groupe d’associations
industrielles d’expliciter leurs besoins
en compétences et de proposer des
cursus adéquats.

L’Italie mise sur les
clusters

Au sein de ce tableau, l’Italie offre un
double visage. Très robotisée, son
industrie n’en reste pas moins positionnée
sur des secteurs à faible croissance
et sur des segments de milieu de
gamme. Productrice importante de biens
d’équipement industriels, elle n’a pas su
s’orienter vers l’intégration numérique
de l’usine.

La politique en direction de l’industrie
du futur en Italie part explicitement de
ce constat ; elle se décline aux échelles
nationales et régionales. Historiquement,
c’est même une initiative lombarde qui
a vu le jour la première, dès 2006, sous
le nom de Mind in Italy (pensé/inventé
en Italie).

Lancé en janvier 2012 mais déjà clôturé,
un premier plan intitulé Fabbrica del
futuro devait rassembler organismes
de recherche et universités autour de
projets de recherche assez théoriques
et pointus. Doté d’un budget modeste
de 4 millions d’euros, son pilotage a
été confié au Centre national de la
recherche (CNR). L’initiative n’a connu
qu’un faible écho auprès des industriels.

Ce premier plan a rapidement été
complété par le programme Cluster
Tecnologici Nazionali : Fabbrica
Intelligente. Doté en 2013 de 47 millions
d’euros, son objectif est à la fois plus
ambitieux et plus clair. Il s’agit de développer
des résultats appliqués en lien
avec les technologies de l’usine du futur
et de créer des espaces de coopération et de spécialisation régionales. Mais
malgré une mobilisation des entreprises
et des régions plus forte sur ce dernier
programme et une tentative de s’inscrire
dans la continuité de l’action européenne,
force est de constater que dans
son ensemble, l’action du gouvernement
italien est restée relativement limitée.

La Corée du Sud et
la Chine

Les programmes mis en place par des
pays tels que la Corée du Sud, la Chine
ou le Japon représentent des initiatives
isolées en Asie.

La Corée du Sud apparaît comme le pays
asiatique le plus propice à la diffusion de
l’industrie du futur. Le secteur industriel
y représente près du tiers de la richesse
nationale et 60 % de sa production est
de milieu ou de haut de gamme, chiffre
égalé uniquement par l’Allemagne. Ses
entreprises sont également en pointe
en termes d’équipement. D’après l’International
Federation of Robotics (IFR), la
Corée du Sud dispose sans conteste de
l’industrie la plus robotisée au monde
(437 robots pour 10 000 employés
en 2013) loin devant le Japon (323),
l’Allemagne (282) et la France (125).
Elle bénéficie par ailleurs d’un haut
niveau d’éducation et de qualification
de sa main d’oeuvre ainsi que de la
présence d’une infrastructure numérique
sans égale. Enfin, son secteur de
la robotique industrielle est l’un des plus
performants au monde et elle bénéficie
d’un positionnement privilégié sur les
technologies numériques grâce à la
présence de grands conglomérats – les
chaebols historiques – développant de
nombreuses activités dans le secteur de
l’image à l’instar de Samsung ou de LG.

La montée en puissance de son voisin
chinois n’en constitue pas moins une
menace sérieuse. L’entrée en vigueur
en juin 2015 d’un premier traité de
libre-échange entre les deux pays, rend
d’autant plus nécessaire le renforcement
de la compétitivité de l’industrie sudcoréenne.
Le ministère du Commerce,
de l’industrie et de l’énergie est à l’origine
de la mise en place de la Manufacturing
Industry Innovation 3.0 Strategy. Le
gouvernement coréen s’est engagé dans
un soutien massif à la recherche centré
sur dix technologies, avec un penchant
fort pour le numérique, en particulier le
big data et l’internet des objets. Il s’est
fixé un objectif précis : faire passer le
nombre d’usines intelligentes de 500 à
10 000 d’ici 2020. Il prévoit également
d’accompagner 100 000 PME dans leur
transformation numérique, en ciblant les
entreprises exportatrices.

Pour sa part, la Chine s’est inscrite
dans la course vers l’industrie du futur
en juin 2015 avec le lancement du plan
Made in China 2025 ; initié par le ministère
de l’Industrie et des technologies
de l’information. Il est le fruit d’une
réflexion menée en coordination avec
150 experts de l’Académie d’ingénierie&lt
br/>de Chine. Il est le premier d’une
série de plans décennaux ayant pour
ambition de faire du pays le leader de
l’industrie mondiale à l’horizon 2049,
date à laquelle la République populaire
célèbrera son centenaire. Le gouvernement
chinois a annoncé la mobilisation
de moyens importants afin d’accompagner
la transformation du secteur
industriel avec une première priorité
visant à moderniser une industrie de
main d’oeuvre encore peu robotisée.

La Chine représente le premier marché
pour les robots industriels selon l’IFR, et
sa demande devrait encore doubler d’ici
2018 pour s’établir à 150 000 unités par
an. Or, seuls 20 % des robots installés
en Chine sont pour l’instant produits
par des entreprises locales. Tout comme
pour la France, ce sont donc surtout les
producteurs étrangers qui profitent de
cet essor. Mais la réaction se prépare
et fin 2014, plus de trente usines de
robots étaient en cours de construction.
Le tissu industriel chinois reste cependant
dominé par de gros conglomérats
publics dont la gestion n’est souvent pas
à la hauteur des enjeux de l’industrie du
futur. De même, le contrôle de l’accès
à Internet par les autorités chinoises
entrave fortement la communication des
entreprises et ralentit l’intégration du
numérique au sein des usines.

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