Les
systèmes automatisés et les robots ne sont pas condamnés à rester dans les
usines de fabrication. La chaîne
logistique dans son ensemble peut, elle aussi, en profiter, afin de libérer les
opérateurs des tâches fastidieuses et de gagner en productivité et en qualité.
Qui l’eut cru ? Jusqu’à présent,
le monde de la logistique comptait parmi ceux qui conservaient la plus grande
part de travail manuel. Mais les temps changent. Pour preuve, à quelques kilomètres
de Colmar (Haut-Rhin), Perle, pour « Premier entrepôt robotisé du réseau
E. Leclerc », alimente chaque jour en produits secs une
centaine de points de vente du distributeur avec… 120 employés sur trois
équipes !
Si l’on en croit les dirigeants du
groupe Leclerc, cet investissement de 60 millions d’euros ne serait qu’un
début, puisque cinq projets analogues seraient déjà en cours, dont un de 120
millions d’euros à Châlons-en-Champagne. Et outre Leclerc, tous les spécialistes
de la grande distribution en France ont lancé ou étudient des projets plus ou
moins sophistiqués mettant en œuvre de l’automatisation dans leur chaîne
logistique. On parle ainsi de la construction de plusieurs dizaines de ces
« usines logistiques » d’ici à 2016 ! Leur atout ? Elles
permettent de gagner en qualité, de réduire les coûts, de gagner de la place en
travaillant en hauteur mais, surtout, de préparer plus de 15000 lignes de
commandes à l’heure avec plusieurs dizaines de milliers de références, quand
l’homme traite péniblement 200 colis par heure. Et avec une tendance actuelle
au développement de plus en plus de petits points de vente, il faut
pouvoir préparer quantité de palettes
très hétérogènes (composées de quantité d’articles différents) dans des temps
de plus en plus courts. Enfin, les nouvelles lois sur la pénibilité du travail
forcent les acteurs de la logistique à trouver des solutions pour soulager,
voire remplacer les hommes dans le port de charges lourdes.
Un
pas de plus
A première vue, la logistique suit des
process simples. Il s’agit de regrouper des produits identiques généralement sur
des palettes standard à stocker ou à transporter ailleurs. Selon les commandes,
on livrera des palettes entières ou des palettes « préparées » regroupant
les contenus d’une ou plusieurs commandes. Pour cela, il faudra récupérer chacun
des produits (à l’unité ou en les piochant dans un bac. On parle alors de
picking) et les superposer pour constituer une palette hétérogène. Le monde de
la distribution ajoute une contrainte supplémentaire : on y traite des produits
secs (ceux stockés à température ambiante), frais, froids et des fruits et
légumes, dans des installations distinctes, à des cadences différentes.
Dans ce domaine, la mécanisation est à
l’œuvre depuis plusieurs années déjà et des systèmes automatisés qui permettent
de stocker temporairement des cartons de produits et de les ressortir de façon
sélective au moment de la préparation des commandes, éventuellement dans un
ordre prédéfini, existent depuis longtemps. Par contre, de nouveaux dispositifs
arrivent pour automatiser des tâches jusqu’à présent manuelles tout au long de
la chaîne : la dépalettisation des palettes de cartons, le transfert de
caisses ou de colis d’un convoyeur à un autre, la préparation de commande, la
palettisation et le transfert des palettes prêtes à livrer jusqu’aux quais de
chargement.
Dépaletiser
en automatique
Dépalettiser une palette homogène,
montée à la sortie d’une ligne de fabrication est relativement aisé. Des machines
dédiées à cette tâche la réalisent sans difficulté, en faisant glisser
successivement les couches de colis sur des tapis séparateurs avant leur
introduction sur des convoyeurs. Pour des spécialistes de la livraison express
de colis, le Français Fimec Technologies a, pour sa part, développé un système
capable de défaire des palettes hétérogènes issues des centres de collecte et
composées de colis qu’il faut ensuite redistribuer selon leur destination. Un
travail particulièrement pénible pour des opérateurs. Baptisées U-care, ces
machine récupèrent une palette défilmée ou des conteneurs postaux et la bascule
gentiment sur un tapis séparateur. Résultat : environ de 2400 à 4500 colis
dépotés par heure selon le modèle, contre 500 environ pour la solution manuelle.
Et « cette capacité peut encore être améliorée en assurant la sortie
automatique de la palette vide, l’opérateur n’ayant plus qu’à alimenter les
palettes pleines », assure Pierre Audic, responsable Business development.
La prochaine étape ? Déjà en mesure de proposer une défilmeuse
semi-automatique qui nécessite l’intervention d’un homme, le Français travaille
sur un dispositif capable de retirer, en automatique, le film transparent qui
enserre les colis sur la palette.
D’un
convoyeur à l’autre
Une fois sortis du stock, un colis ou
une caisse de produits circule généralement sur des convoyeurs à rouleau pour
rejoindre une gare de préparation des commandes et, après préparation, la gare
de palettisation. Une fois construites, ces installations sont cependant généralement
difficiles à modifier. Avec ses robots Lynx Conveyor, Adept Technology élimine
ces difficultés. En effet, ses petits engins autonomes sont non seulement
capables de se déplacer dans un entrepôt en évitant les obstacles sans nécessiter
d’infrastructure particulière mais, surtout, embarquent un mini convoyeur. Véritables
« convoyeurs virtuels », ils peuvent donc récupérer un colis à un
point A et l’amener à un point B, voire assurer le transfert d’un tapis classique
à un autre. Les seules informations à leur communiquer sont leurs points de
départ et d’arrivée. « Ils peuvent être déployés rapidement et, une fois
déployés, la main d’œuvre peut être utilisée pour des tâches à plus haute
valeur ajoutée », note Jean-Michel Bombar, responsable commercial.
Du
picking robotisé
La préparation de commande constitue
la tâche la plus importante en logistique. C’est là que l’on rassemble dans un
colis tous les produits constituant la commande d’un client. En mode manuel, le
processus le plus rapide met en œuvre des systèmes « good to man »,
où l’opérateur pioche les produits dont il a besoin dans des caisses qui
viennent à lui. Le mode « good to robot » est parfaitement
envisageable, à condition que la machine soit capable de réaliser le picking. C’est
justement ce que propose Siléane avec sa cellule baptisée Kamido. Grâce à un
système de vision complexe et un logiciel d’intelligence artificielle, son bras
articulé est capable d’attraper un produit en vrac dans un bac, le tout sans
apprentissage. En effet, « Kamido décide seul du meilleur produit à
prélever et adapte également son outil de préhension (pince, ventouses…) à
l’objet », explique Siléane. Performance : 1000 produits piochés à
l’heure. Et évidemment, le robot peut également gérer des cartons ou des bacs
vides, des intercalaires à placer entre deux couches de produits…
Palettisation
hétérogène
Fini la corvée de la palettisation
manuelle, même pour des commandes très hétérogènes ! Pour automatiser cette tâche, la plupart des constructeurs
de systèmes de stockage automatisé tels Witron, Dematic ou Ulma, avec son Robot
ik Pal dévoilé lors du salon Emballage 2014, utilisent un dispositif cartésien,
qui pousse le colis à l’aide de plateaux verticaux sur une table et le porte
par le dessous, à l’aide d’un plateau qui s’escamote une fois le colis en
place. Un système qui nécessite toutefois d’effectuer le tri en amont dans un
« séquenceur », stock tampon qui envoie les produits dans l’ordre
voulu. Désormais, d’autres solutions arrivent utilisant… des robots articulés. Pour
la palettisation de colis postaux, Fimec Technologies, par exemple, intègre des
bras Kuka dans une cellule baptisée Packtris. Placé en bout de convoyeur, là où
l’on retrouvait des opérateurs, le système identifie les colis grâce à un système de vision 3D, les récupère
et les dépose sur une palette. « Nous reproduisons l’intelligence de
l’homme. C’est un algorithme spécifique qui détermine les possibilités
d’imbrication avec ce qui se présente et fait son choix », explique Pierre
Audic. La suite ? « Nous avons amélioré notre algorithme sur le fait
de croiser les colis pour plus de stabilité et sur l’« intelligence de
l’implantation » : comment alimenter le robot, comment accumuler les
colis, etc. Nous étudions notamment actuellement un projet avec trois points de
reprise et sept points de dépose en sortie de trieur », explique Pierre
Audic.
Afin d’automatiser la palettisation
sur le site logistique ELDPH (épicerie, liquides, droguerie, parfumerie,
hygiène) de Système U Ouest à Ploufragan (Côtes-d’Armor), Syleps et sa filiale
robotique Synapse ont, pour leur part, développé l’OPR 1800 (Order Picking
Robitic), capable de traiter 1800 colis par heure. Pour cela, il associe un
stock unitaire à 100 000 emplacements, un logiciel qui calcule la
composition des palettes et un robot articulé Fanuc. « Le robot reproduit
les gestes humains. Cela autorise plus de possibilités d’imbrications. En
outre, tout est modulaire du début à la fin. L’OPR peut donc être décliné en
des versions atteignant 1800, 2700, 3600 colis par heure », explique
Thierry Le Chêne, directeur général de Syleps. Grâce à un préhenseur
spécifique, l’OPR peut en outre manipuler des cartons, mais aussi divers
produits dans leur packaging d’origine, du paquet de couches au pack de
bouteilles d’eau. Un must dans la distribution. Mais derrière la mécanique, le
logiciel est capital car « il y a un million de combinaisons possibles pour
une palette de 60 colis, explique Thierry Le Chêne. Et pour chaque produit, il
faut aussi tenir compte de sa capacité à supporter des poids, de la façon dont
il s’écrase sous la charge, de la nécessité de placer un intercalaire
au-dessus… ».
Certains voient encore plus loin. Le
Hollandais Qimarox se propose par exemple de remplacer les robots par… des drones !
« Avec des drones, les fabricants de produits de consommation à forte
rotation peuvent automatiser complètement le processus de palettisation, tout
en conservant le haut degré de flexibilité et d’évolutivité que la solution
manuelle », commente Jaco Hooijer,
son dirigeant. En effet, l’emploi de robots volants permettrait de modifier son
installation à tout instant, simplement en changeant les coordonnées des points
de prise et de dépose des produits dans le système de pilotage des drones. Et
pour ajuster la capacité de production, l’exploitant n’aurait qu’à mettre en
fonctionnement ou stopper des engins. Pour l’heure, les ingénieurs de Qimarox
considèrent que le principal frein à cette solution est la capacité de charge
actuelle des drones qu’il a testés, qui plafonne à moins de 2,3 kg. Mais, selon
les Hollandais, la technologie évolue et la capacité devrait bientôt atteindre
les 10 kg.
De son côté, le Grenoblois Hardis
Group vient de breveter un système embarqué sur un drone destiné à automatiser
la réalisation des inventaires et des opérations de contrôles de stocks dans
les entrepôts. Ce système est constitué d’un dispositif qui permet au drone de
se déplacer de manière autonome grâce à une cartographie intégrée de l’entrepôt
et un plan de vol prédéterminé, d’une caméra embarquée capable d’identifier et
de capturer les informations à traiter pour réaliser l’inventaire et d’une
intelligence qui associe l’image à sa position dans l’entrepôt et traduit sa
position 3D en adresse logistique (emplacement de stockage). « Les
informations recueillies par les systèmes embarqués sur le drone (données du
code-barres et de position dans l’entrepôt) peuvent être exploitées par
n’importe quel logiciel de gestion des entrepôts du marché », assure
Hardis Group.
Jusqu’au
bout des quais
Les AGV, enfin, constituent un pilier
fort de l’automatisation en logistique. Leur
nouveau job en entrepôt ? Le transfert des palettes prêtes à l’expédition
jusqu’aux camions pour éviter des travaux pénibles aux opérateurs. Dans un centre
de préparation de produits frais en Belgique, Balyo a récemment mis en œuvre
cette solution. Lors des coups de feu entre 23 heures et 5 heures du matin, 20
transpalettes automatisés circulent simultanément à 6,5 km/h en pointe. Leur
mission : récupérer les palettes préparées à l’une des sorties d’un buffer
d’expédition et les amener jusqu’aux portes des camions, sur des emplacements
numérotés. Les chauffeurs, informés des numéros d’emplacements correspondant à
leur commande, n’auront plus qu’à récupérer les palettes et les charger. C’est
le logiciel de WMS (le pilote logistique de l’installation) qui indique aux
engins où récupérer leur palette et l’emplacement cible. Un PC central se
charge alors de piloter les machines en direct (les informations sont envoyées
sans fil plusieurs fois par seconde) jusqu’à leur destination. Une fois arrivé,
le chariot pose sa palette et interroge le système pour accepter une autre
mission ou retourner à son point de taxi et se recharger en mode automatique.
La difficulté de ce projet ? Assurer une sécurité maximale. « Les
seuls humains qui peuvent être en contact avec les machines sont les chauffeurs
routiers qui ne sont pas coutumiers des AGV. Ils doivent pouvoir s’en approcher
sans danger », explique Pascal Lafont, chef de projet chez Balyo. Et
surtout, en cas de détection d’obstacle, la machine doit s’arrêter, puis
repartir sans acquittement par un opérateur, comme c’est le cas habituellement.
Pour Cela, Balyo a remplacé, à l’avant du chariot, le scrutateur laser habituel
par une caméra 3D d’ifm electronic. « Elle offre en permanence une vue de
l’espace 3D. Cela permet de redémarrer automatiquement après un arrêt »,
poursuit le chef de projet. En outre, « le profil de circulation est
complexe, avec 20 machines qui se déplacent à haute vitesse. Nous avons fait
beaucoup de développements pour mettre au point les règles de circulation
adaptées », poursuit le chef de projet.
Plus
de robots en entrepôts
A l’avenir, les bras articulés pourraient
bien prendre une place plus importante dans les entrepôts. Qu’il s’agisse de
palettisation ou de dépalettisation, « dans les plateformes de
distribution, on parle de quelques robots par cellule, mais de plusieurs
cellules à chaque fois », reconnaît Emmanuel Bergerot, directeur marketing
de Kuka France. Pas d’applications de cobotique en vue mais, par contre, des
robots mobiles comme son iiwa monté sur une plateforme roulante pourraient
trouver des débouchés nouveaux. D’ailleurs Kuka semble s’intéresser très
sérieusement au monde de la logistique, au point d’avoir annoncé très récemment
racheter le spécialiste suisse Swisslog pour 357 millions de dollars… Les
robots à deux bras comme le Baxter de Rethink Robotics ou le Yumi d’ABB, en
théorie capables de reproduire les mouvements humains, pourraient également
constituer des bases intéressantes. L’atout majeur des robots en
logistique ? « Quand il est nécessaire de porter des charges pour les
placer sur une palette avec précision ou de trier des petits produits
sensibles, l’usage de robots simplifie les choses. Dans ce domaine en
particulier, Il existe déjà des applications qui utilisent plusieurs bras
synchronisés (l’un tient le carton pensant que l’autre le découpe) pour ouvrir
des cartons en automatique », répond Nicolas Couche, Responsable produits
robotique chez Fanuc France. Et selon lui, les robots n’ont pas fini de
s’installer dans les entrepôts. « Ils pourraient être utilisés pour le
conditionnement à façon et le copacking, pour des opérations promotionnelles
ponctuelles. Mais ce sont les drives qui constitueront certainement le prochain
« gros sujet en robotique ». Dans ceux qui reposent sur des
opérations manuelles, les opérateurs peuvent parcourir plusieurs dizaines de
kilomètres par jour. Pour les remplacer, on peut envisager des systèmes à
robots fixes qui prélèvent des produits dans des caisses ou des rolls qui
défilent devant eux, ou des robots mobiles de différentes capacités de charge pour
s’adapter à chaque type de produits. »
Si la technologie est là, il reste cependant
un frein, énorme, à l’avènement du tout automatisé en logistique et dans la
distribution en particulier. Certains spécialistes sont formels : selon
leurs calculs, le retour sur investissement de telles installations dépasserait
largement les 10 ans. Il reste donc du chemin avant que les opérations
manuelles soient définitivement écartées…