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LE NUMÉRIQUE, UNE MACHINE À CO 2 4.0 ?

Le Numérique est reconnu comme
un levier de développement
économique pour l’ensemble des
pays et des entreprises. Reste que
ses impacts environnementaux
directs et par effets de rebonds
sont largement sous-estimés,
allant à l’encontre des efforts de
réduction de la consommation
énergétique dans le monde. Et si
les vrais leviers de croissance se
trouvaient dans la sobriété
numérique ?

Les infrastructures de communication électronique, les serveurs, les systèmes de calcul, les stations de
travail informatiques, les routeurs, les
passerelles, les automates industriels et
les innombrables capteurs du plus simple
au plus sophistiqué, constituent les
fondations sur lesquelles repose la
digitalisation.

S’il est hors de question de remettre en
cause les avantages que l’industrie tire du
Numérique, le développement
exponentiel des volumes de données
produits à tous les échelons de l’appareil
de production, ont un coût énergétique
et donc, par voie de conséquence, un
coût environnemental.

Pourtant, le jargon à la mode dans le
digital, fleure bon l’efficacité, la
simplification et la bienveillance pour les
activités proprement humaines et la vie
en général. Que pourrait-on craindre de
l’intelligence artificielle, d’une smart
machine ou de la dématérialisation ? On
imagine volontiers que la première résout
les problèmes à notre place, que la
seconde agit au mieux de nos intérêts et
que la dernière réduit notre empreinte
environnementale. Pas si sûr !

L’EMBALLEMENT DE LA
MACHINE DIGITALE

Contrairement à une idée reçue, le digital
n’est pas synonyme de dématérialisation. Il
est indéniable que le recours aux
messageries, aux systèmes de gestion
électronique de documents et aux progiciels de gestion intégrés permet de
réduire considérablement le volume de
feuilles volantes qui circulent à tous les
échelons de l’entreprise. Mais ce qui a été
dématérialisé ici, prend ailleurs la forme
d’armoires remplies de serveurs, de baies
de stockage, de routeurs dorsaux et
départementaux, d’alimentations couplées
à des dispositifs de climatisation, sans
compter les postes de travail
informatiques des utilisateurs, avec à la
sortie un coût environnemental en pleine
explosion.

The Shift Project, groupe de réflexion qui
pense la transition énergétique et ses
enjeux vient de publier une très sérieuse
étude consacrée à la sobriété numérique
qui a reçu le soutien de l’Agence française
de développement. Le directeur du projet,
Hugues Ferreboeuf, Polytechnicien,
ingénieur du Corps des mines et diplômé
de Télécom ParisTech, a rassemblé des
universitaires, des professionnels et des
experts du secteur qui ont conduit des
travaux de modélisation et de
consolidation des études sur les impacts
environnementaux du Numérique, prenant
en compte plus de 170 travaux ayant pour
l’essentiel été publiés depuis 2014.

La transition appelée digitalisation accroît
l’empreinte énergétique directe du
Numérique qui représente aujourd’hui,
environ 3 % de la consommation
mondiale d’énergie, si l’on additionne les
dépenses liées à la production des
équipements et celles qui découlent de
leurs utilisations. Plus inquiétant, cette
consommation s’accroît d’environ 9 % à
10 % par an selon les estimations, ce qui signifie qu’elle double tous les sept à huit
ans. Cette évolution va à contre-courant
de la démarche générale de maîtrise ou
de réduction de la dépense énergétique
selon les secteurs d’activité considérés.
Toutes aussi significatives sont les
contributions au réchauffement
climatiques imputables au Numérique.

Dans ses conclusions, le rapport pour la
sobriété numérique publié par The Shift
Project indique : « la part du numérique
dans les émissions de gaz à effet de serre
a augmenté de moitié depuis 2013,
passant de 2,5 % à 3,7 % du total des
émissions mondiales. La demande en
métaux rares et critiques, également
indispensables aux technologies
énergétiques bas-carbone, est elle aussi
croissante… Les émissions de CO
2 du Numérique ont augmenté depuis 2013
d’environ 450 millions de tonnes dans
l’OCDE, dont les émissions globales ont
diminué de 250MtCO
2eq. »

On peut remarquer que le Numérique est
responsable d’un niveau d’émissions de gaz
à effet de serre dans le monde, déjà
supérieur à celui du transport aérien – et,
qu’en l’absence d’infléchissement, il pèsera
près de 8 % de ces mêmes émissions en
2025, soit le niveau actuel de rejets des
automobiles dans le monde.

Les bénéfices à tirer du numérique seraientils à ce prix ? La conclusion des experts est
sans appel, la boulimie énergétique du
numérique est déraisonnable parce qu’il
serait possible de tirer autant d’avantages
de la digitalisation à l’échelle mondiale en
étant beaucoup plus sobre, essentiellement
en apprenant à mieux se servir des
technologies de l’information et en
maîtrisant notre communication. Différentes
études montrent qu’il est possible de
contenir la croissance de la consommation
énergétique du numérique entre 1 % et 1,5 %
par an.

VERS UNE UTILISATION
RÉFLÉCHIE DES DONNÉES

En moyenne, la moitié de l’énergie
consommée par le numérique vient de la
production des équipements eux-mêmes,
une proportion qui dérape littéralement
pour les smartphones dont la fabrication
représente 90 % de leur coût
environnemental. En allongeant la durée de
service des équipements, on réduit donc
leur impact environnemental.

Il faut aussi apprendre à exploiter plus
intelligemment les données pour contrer
l’inflation croissantes des ressources
matérielles nécessaires à leur
acheminement, leur traitement, leur
stockage, etc. Ainsi, une donnée quelle
qu’elle soit (courriel, minimessage,
conférence et téléconférence, requête
adressée à un serveur, téléchargement de
documents, etc.) parcourt en moyenne
15 000 km sur différents réseaux avant
d’atteindre sa destination. Deux ou trois
courriels comportant une pièce jointe de
un ou deux mégaoctets provoquent en
quelques secondes, la même
consommation énergétique qu’une
ampoule classique pendant une heure soit
environ 60 W. Une fois créées, ces données
dans leur immense majorité, sont stockées
dans des serveurs, où elles demeurent
pour certaines d’entre elles depuis plus de
trois décennies, sans avoir jamais été, ni
consultées, ni réexploitées.

Il suffit de songer aux centaines de
milliards de courriels qui encombrent les
serveurs de messagerie des entreprises
parce qu’ils n’ont pas été effacés par leurs
destinataires, et il en va de même dans les
centres de données des fournisseurs
d’accès avec les courriels des particuliers.

Le cloud qui facilite le stockage en masse
d’informations en ligne, n’a guère la tête
dans les nuages quoi qu’on en pense.

Google Drive, Microsoft OneDrive,
Dropbox pour tous types de documents
autant personnels que professionnels,
auxquels s’ajoutent les services spécialisés
comme Youtube, Dailymotion ou Vimeo
pour la vidéo, grande consommatrice de
ressources digitales, ont popularisé le
cloud auprès du grand public comme des
professionnels, faisant exploser les
volumes de données stockées et donc, la
consommation en électricité des
datacentres qui les abritent.

Après les courriels, les documents, les
photos, les séquences audio ou vidéo
stockés, partagés, dupliqués encore et
encore, font grossir la facture énergétique
sans que jusqu’à présent, la bulle des
datamasses n’éclate au prix d’une
multiplication exponentielle des serveurs
et pour les accueillir, de la construction
effrénée de bâtiments climatisés et
équipés de gargantuesques alimentations
secourues à grand renfort de générateurs
fonctionnant aux énergies fossiles.

Ainsi , les analystes écrivent : « l’empreinte
matérielle du Numérique est très largement
sous-estimée par ses utilisateurs, compte
tenu de la miniaturisation des équipements
et de l’invisibilité des infrastructures utilisées.
Ce phénomène est renforcé par la
généralisation de l’offre de services dans le
Cloud, qui rend d’autant plus imperceptible la
réalité physique des usages, et conduit à
sous-estimer les impacts environnementaux
directs du Numérique. »

YOU AIN’T SEE
NOTHING YET1 !

Avec la digitalisation, les entreprises
substituent assez largement des logiciels et
des ressources numériques à des
équipements matériels. Elles peuvent faire
entrer dans leur choix, les impacts
environnementaux comme elles pèsent sur
les coûts financiers d’acquisition, de mise en
service et de maintenance.

Les sources de la forte croissance de la
consommation énergétique du Numérique
sont multiples mais le rapport édité par The
Shift Project identifie quatre sources
principales, en première analyse : l’usage des
smartphones, la multiplication des
périphériques digitaux dans la vie
quotidienne (montres et bracelets
connectées, enceintes Bluetooth, éclairages
et systèmes de surveillance sans-fil, etc.),
l’essor de l’Internet des objets industriels (ou
IIoT, pour Industrial Internet of Things) et
partout, l’explosion du trafic de données.

L’IIoT consiste, grâce notamment, à des
équipements électroniques, le plus souvent
embarqués (capteurs, actionneurs, puces
RFID, etc.) à identifier et faire communiquer
entre eux tous les maillons des chaînes de
valeur : les machines et équipements de
production, les pièces en cours de
fabrication, les produits finis avant-vente et
après vente, les collaborateurs, les fournisseurs, les clients, les infrastructures… Les objets connectés
permettent alors de collecter des informations sous forme de
données qui peuvent ensuite être stockées puis analysées. C’est l’un
des piliers technologiques de l’Industrie 4.0, avec la robotique et
l’intelligence artificielle.

L’IIoT conduit les entreprises à procéder à des investissements
considérables en technologies numériques communicantes
puisqu’ils ont été évalués en 2017 par le Gartner, à quelque
965 milliards de dollars et en croissance d’environ 21 % par an . Le
Gartner indique encore que le nombre d’interfaces de
communication de ce type va augmenter de 55 % par an jusqu’à
atteindre 7,5 milliards d’unités en 2020. Cet essor devrait contribuer
à faire passer le nombre total d’équipements connectés de
8,4 milliards en 2017 à 20 milliards en 2020.

UNE CROISSANCE INQUIÉTANTE
DU TRAFIC

L’essentiel de la croissance des flux de données est attribuable à la
consommation des services fournis par les Gafam2, rapidement
rattrapé par de nouveaux entrants comme Netflix dont on estime
que les services de vidéo à la demande (VoD) représente déjà 10 % à
12 % du volume mondial transitant sur Internet. Cette augmentation
du trafic s’accompagne d’une augmentation du volume de données
stockées dans les datacentres, tirée par les utilisations du Cloud et
des datamasses (Big data) encore plus
importante : +40 % par an,
soit 1 Zettaoctet3(Zo) en 2020 selon des estimations réalisés par la
société Cisco en 2018.

Les données stockées dans les datacenters devraient représenter
ainsi 20 % du volume de données stockées dans les terminaux
(5 Zo), contre 14 % en 2015, ce qui contribuera à faire croître le trafic.

A noter que Cisco estime à 67 Zo en 2020 le volume de données
produites par les approches IoT et IIoT, soit 35 fois plus que la
capacité de stockage prévue dans les datacenters à cette échéance.

Il sera donc nécessaire que de nouvelles architectures telles que le
Edge Computing4 déportant les capacités de traitement et de
stockage des données au plus près des capteurs soient mises en
place pour que les services basés notamment sur l’IIoT se
développent dans les meilleures conditions. Ceci devrait entraîner
une augmentation supplémentaire du parc d’équipements, ainsi que
le déploiement de capacités de stockage nouvelles basées sur la
technologie SSD qui mobilise des puces de mémoire plus rapides et
moins énergivores que les disques magnéto-mécaniques.

Il faut noter que la croissance des besoins est si forte qu’une
question se pose quant à la capacité même d’assurer une production
industrielle suffisante en termes d’équipements de stockage à
l’échéance 2020.

L’intégralité du rapport « Lean ICT – pour une sobriété numérique »
est accessible sur le site du groupe de réflexion The Shift Project
(theshiftproject.org).

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