De nombreuses applications de tri industrielles nécessitent la mise en œuvre de systèmes de séparation et d’alignement de paquets, capables, à partir d’un flux d’entrée constitué d’un ensemble hétérogène et désorganisé d’éléments, de former un ou plusieurs flux de sortie véhiculant des éléments espacés et alignés. Voici une solution utilisant la vision industrielle.
De nombreuses applications de tri industrielles nécessitent la mise en œuvre de systèmes de séparation et d’alignement de paquets, capables, à partir d’un flux d’entrée constitué d’un ensemble hétérogène et désorganisé d’éléments, de former un ou plusieurs flux de sortie véhiculant des éléments espacés et alignés. Les solutions traditionnelles se limitent à des systèmes « purement mécaniques » en boucle ouverte. Le maniement des paquets y est réalisé par le biais d’interactions mécaniques prédéfinies, avec très peu ou pas de contrôle logiciel.
La génération d’installations présentée dans cet article se différencie des solutions traditionnelles par l’utilisation d’éléments hardwares génériques, et par la mise en œuvre d’un système de maniement des paquets guidé par vision et piloté par des algorithmes de contrôle de mouvements en boucle fermée.
Ces installations présentent un rendement comparable à celui des solutions traditionnelles, pour un encombrement réduit de 30 à 50%. Un fonctionnement sans collision élimine les risques d’endommagement des paquets.
Enfin, elles permettent grâce à la flexibilité de leur programmation, de répondre à des exigences fonctionnelles que les systèmes traditionnels sont incapables de satisfaire, telles que la sélection des espacements, des modes de sortie, etc.
De la mécanique à la vision
L’opération qui nous intéresse consiste à traiter un flux d’entrée véhiculant des éléments disposés en vrac, pour le transformer en un ou plusieurs flux de sorties organisés, comme illustré sur la figure 1. Il est admis que les éléments du flux d’entrée ne doivent pas se chevaucher. La principale caractéristique du flux de sortie est de ne pas contenir d’éléments disposés côte à côte. Un espacement minimum est imposé entre deux paquets consécutifs pour permettre le déchargement un à un des éléments, comme le montre la figure 2. Par convention le sens d’écoulement des flux est représenté de la droite vers la gauche. Les taux d’écoulement sont mesurés en milliers de paquets par heure, ou « mpph » par commodité d’écriture (différentes valeurs de taux d’écoulement sont représentées en figure 3).
Figure 1 : Le flux d’entré désordonné contenant de nombreux paquets côte à côte est transformé en un ou plusieurs flux de sortie constitués de paquets alignés, séparés d’une distance minimale.
Figure 2 : Définition de la notion de distance minimal séparant deux paquets consécutifs.
Figure 3 : Distributions calculées et générées par un programme informatique, pour une vitesse de convoyage de 0.5 mètre par seconde et une largeur de tapis roulant de 1.6 mètres.
Ce type d’opération intervient typiquement à la suite de déchargements ou de déversements. La figure 4 représente l’enchaînement des différentes étapes d’un processus de tri classique, pour lequel la séparation des paquets constitue la première opération à réaliser. Celle-ci est généralement suivie d’une série d’opérations telles que reconnaissance de code à barres, pesage, étiquetage, etc..
Figure 4 : Représentation des différentes étapes d’un processus de tri classique. L’opération de séparation des paquets constitue la première opération à réaliser.
L’état actuel de l’art consiste en des solutions « purement mécaniques », avec très peu ou pas de contrôle logiciel. Ceci peut être expliqué par l’origine mécanique de la plupart des concepteurs industriels, à quoi il faut ajouter les velléités de beaucoup d’industriels à l’égard de la robustesse des solutions de contrôle par capteurs. Une approche commerciale est illustrée en figure 5. Le flux d’entrée composé de paquets disposés en vrac arrive en (a). Des rouleaux inclinés poussent l’ensemble des paquets contre un mur (b). Seuls les paquets collés contre le mur sont évacués (d). Les autres paquets sont redirigés (e) vers une fosse dans laquelle ils tombent (f). Ceux-ci sont ensuite réintroduits dans le processus après élévation vers l’entrée de la machine (g).
Figure 5 : En haut : concept de séparation des paquets « entièrement mécanique ».
En bas : comparaison des empreintes au sol d’une machine purement mécanique et de la solution présentée dans cet article.
Le principal avantage d’une solution en boucle ouverte est qu’elle permet de se départir totalement de la complexité liée à la mise en œuvre d’un système informatique de contrôle. Par ailleurs une telle solution permet d’aligner les paquets de façon simple, grâce à une force qui les colle contre un mur. Cependant, l’un des gros inconvénients est que pour éviter les engorgements il convient de prévoir une zone de réinsertion des paquets très large (typiquement une surface de 15×5 m² est nécessaire).
Par ailleurs les nombreux moteurs chargés d’entraîner les convoyeurs et autres rouleaux consomment beaucoup d’énergie et sont générateurs de bruits. D’autres limitations importantes sont à noter, comme l’impossibilité de fixer un espacement minimal entre les paquets, l’endommagement des paquets dû aux multiples collisions (contre le mur et contre d’autres paquets, ou lors de la chute des paquets dans la fosse), la difficulté à gérer les engorgements, la fréquente nécessité d’interventions humaines, etc.
Les progrès réalisés récemment dans les domaines de la vision temps réel et du contrôle de mouvements permettent d’envisager une approche radicalement différente.
L’innovation est née de la recherche d’une solution à une problématique réelle de tri industrielle. Celle-ci devait répondre à des exigences fonctionnelles avancées et à des contraintes d’encombrement très strictes, que les solutions actuelles ne pouvaient en aucun cas satisfaire. Cette application nécessitait la mise en œuvre d’une machine de séparation et d’alignement à deux sorties de 3 mpph chacune (soit 6 mpph au total), avec un taux de défaillance très faible (moins d’une erreur par heure). Le tout devait tenir sur une surface très réduite, environ cinq fois plus petite que l’empreinte des solutions existantes (voir figure 5). De plus, la distance séparant les paquets devait être réglable, de même que la sélection du mode de sortie (à droite, à gauche, ou droite-gauche simultanément).
Un nouveau système a donc été développé pour répondre à ces besoins. Son architecture est composée de trois éléments principaux : (i) un système mécanique de maniement distribué, (ii) un système de vision temps réel, et (iii) un contrôleur de mouvements. Ces éléments, qui seront détaillés plus tard, sont interconnectés comme décrit sur la figure 6.
Figure 6 : les composants principaux de la nouvelle solution de séparation et d’alignement de paquets.
Le système mécanique
Les composants principaux du système mécanique sont décrits plus en détail sur la figure 7. Le système comprend (a) un convoyeur de « vrac », dit convoyeur « bulk », (b) un réseau de petits convoyeurs juxtaposés (singulator bed) dont les vitesses sont réglables indépendamment, (c) une succession de rangées de roulettes orientables (SWD pour steering wheel diverter), (d) une portion constituée de rouleaux (RJ pour roller junction) assurant la jonction vers les deux convoyeurs de sortie (e) et (f).
Figure 7 : Les principaux composants du système mécanique.
Le convoyeur « bulk » se charge d’acheminer les paquets vers le système à une vitesse donnée, typiquement de l’ordre de 0.5 m/s. En fonctionnement nominal, le taux d’entrée est de 6 mpph, avec des pointes de courtes durées pouvant atteindre 7.5 mpph. Afin d’éviter les engorgements le contrôleur de mouvements peut réduire la vitesse du convoyeur en cas de pic d’affluence prolongé.
Le réseau de petits convoyeurs compte sept éléments dans le sens de la longueur, et douze dans le sens de la largeur. Chaque élément est piloté par un servomécanisme individuel situé sous le tapis, pouvant être contrôlé en vitesse de façon indépendante. Chaque module est conçu pour être extractible et remplaçable. Dans la mesure où le nombre le plus important de séparations de paquets devra être effectué à l’entrée de la machine, une plus grande résolution doit être disponible à cet endroit pour faciliter le maniement des paquets. C’est pourquoi les premières rangées de convoyeurs sont constituées d’éléments plus courts (de moitié) que les rangées suivantes.
La portion SWD (Steering Wheel Diverter) constituée de rangées successives de roulettes orientables permet aux paquets d’être dirigés vers l’une ou l’autre des deux sorties. Pour cela chaque rangée de roulettes peut être orientée dans trois directions différentes : tout droit, vers la droite ou vers la gauche. La vitesse de convoyage des paquets est maintenue constante (1.5 m/s) dans cette portion.
La portion dite RJ (pour Roller Junction), également baptisée jonction à chevrons, consiste en un arrangement symétrique de rouleaux entraînés à une vitesse égale à la vitesse d’évacuation (1.5 m/s). Lorsque les paquets sortent de la portion SWD et qu’il pénètrent dans l’une des deux zones RJ, ceux-ci prennent alors un virage en douceur pour se diriger vers le convoyeur de sortie correspondant.
Les convoyeurs de sortie sont de simples convoyeurs de décharge entraînés à la vitesse de 1.5 m/s. Une fois dans cette portion, les paquets sont séparés, alignés, et prêts à être acheminés vers des stations à plus fortes valeurs ajoutées (typiquement ils subiront un ensemble d’opérations successives tels que reconnaissance de code à barre, pesage, étiquetage, etc.).
Un aperçu en trois dimensions de l’installation est proposé en figure 10. Il a été généré à l’aide d’un outil de simulation et permet de visualiser un ensemble de paquets en cours de traitement. Les figures 8 et 9 montrent le prototype physique de la solution qui a été construit en vue de la réalisation de tests.
Figure 8 : Sur le prototype physique, on voit un ensemble de paquets situés à l’entrée du séparateur. La structure surmontant l’installation est équipée de six caméras utilisées par le système de vision temps réel.
Figure 9 : Détail de la zone d’évacuation de l’installation. Sont visibles les trois dernières rangées de convoyeurs de la zone « singulator bed », la zone SWD (Steering Wheel Diverter) en entier ainsi qu’une portion de la zone de jonction à chevron RJ.
Figure 10 : Modèle 3D de l’installation montrant un ensemble de paquets en cours de traitement.
Le système de vision
Comme le montre la figure 6, le système de vision fournit au contrôleur de mouvements des informations concernant la géométrie des pièces. Une illustration du principe de fonctionnement en boucle fermée de l’installation est proposée en figure 11. Les images acquises par les caméras surplombant l’installation ainsi que par les capteurs permettent de déterminer en temps réel les dimensions des paquets, leur emplacement ainsi que leur orientation. Le contrôleur de mouvements exploite ensuite les informations qui lui sont transmises pour piloter les convoyeurs et ainsi manipuler les paquets.
Figure 11 : Le fonctionnement en boucle fermée de l’installation. Des caméras ainsi que d’autres capteurs fournissent au système de vision les données nécessaires. Les dimensions et emplacements des paquets reconstitués sont affichés à l’écran, en superposition de l’image d’origine (segments rouges). Ces informations sont périodiquement transmises au contrôleur de mouvements.
La première tâche réalisée par le système de vision est la reconstruction du modèle en trois dimensions de chacun des paquets. Son travail consiste ensuite à suivre en temps réel l’évolution de la position et de l’orientation de chacun des paquets. La reconstruction du modèle 3D est réalisée grâce à une paire de caméras située à l’entrée de l’installation. Un réseau de capteurs niché entre le convoyeur bulk et la première rangée de convoyeurs de la zone « singulation bed » permet de relever l’empreinte de chacun des paquets, et complète les informations fournies par les caméras pour la reconstruction des modèles 3D.
Une fois que leurs modèles 3D ont été construits, les paquets pénétrant dans le système sont « traqués » par quatre caméras surplombant la zone. Le système de vision fonctionne à une fréquence de 30 images par seconde, sur une plateforme serveur quadri-processeurs de type Xeon (voir figure 12).
Figure 12 : Aperçu détaillé du système de vision et de son interaction avec le contrôleur de mouvements. La géom&
acute;trie et l’emplacement des paquets sont communiqués au contrôleur de mouvements par l’intermédiaire d’une liaison Ethernet. A chaque cycle, le contrôleur de mouvements calcul un nouvel ensemble de valeurs, déterminant la vitesse de chacun des servo-mécanismes pilotant le réseau de convoyeurs (de manière à réaliser la séparation des paquets).
Figure 13 : Une série de photos de l’écran principal du système de vision. (a) localisation des paquets le long de la zone de séparation. (b) résultat des mesures effectuées par le réseau de capteurs (celui-ci fonctionne comme un scanner relevant les empreintes des paquets pénétrant dans la zone de séparation). (c) Images du suivi des paquets réalisé à l’aide des caméras 3-6.
La reconstruction des modèles 3D ainsi que le suivi des paquets atteint une précision spatiale de l’ordre du centimètre. Cela s’avère largement suffisant pour ce type d’application. Toutefois un tel niveau de précision demande de prêter une attention particulière au calibrage des capteurs, de façon à ce que toutes les données géométriques et dimensionnelles puissent être considérées comme étant relatives à un référentiel commun. Un processus convivial de calibrage a été utilisé. Celui-ci consiste à placer des marqueurs à différents endroits prédéterminés. Ceux-ci sont reconnus par le système de vision. Le calibrage est alors réalisé automatiquement.
Le contrôle en boucle fermée nécessite une estimation précise des temps de latence introduits durant les mesures et lors des transferts d’informations entre le système de vision et le contrôleur de mouvements. Une estimation empirique des différents délais introduits par le système a permis d’améliorer la précision des algorithmes de contrôle de mouvements. L’ensemble des délais combinés représente un temps de latence total de l’ordre de 100 ms.
Le contrôle de mouvements
Le contrôleur de mouvements est responsable du calcul des vitesses et du réglage des paramètres des éléments mécaniques du système. Parmi les grandeurs mises à jour à chaque nouveau cycle, les principales sont : la vitesse du convoyeur « bulk » acheminant les paquets en vrac à l’entrée du système, la vitesse de chacun des 84 convoyeurs indépendants constituant le réseau « singulation bed », et l’orientation de chaque rangée de roulettes de la portion SWD.
Le contrôle de mouvements en boucle fermée du système nécessite une description périodique et précise de la géométrie des paquets en cours de traitement (position, orientation et dimensions). Toutes les informations nécessaires sont fournies au contrôleur par le système de vision, il fournit au contrôleur une liste de paquets identifiés de façon unique, avec pour chacun de ces paquets une liste de coordonnées (l’origine du repère 3D est fixée au coin inférieur gauche de la zone « singulation bed »).
Le principe de la séparation des éléments est basé sur la possibilité d’accélérer le mouvement de certains paquets, afin de permettre à ceux-ci de « dépasser » les autres paquets situés au même niveau et ainsi se retrouver isolés. Deux opérations de base sont réalisées par le contrôleur de mouvements : (i) l’extraction et (ii) l’alignement.
L’opération d’extraction correspond à l’accélération de certains paquets (qui ne sont pas bloqués par d’autres) jusqu’à ce que la distance créée entre ces paquets et ceux évoluant plus lentement (la vitesse minimale est la vitesse d’entrée, soit 0.5m/s) soit suffisamment importante. La valeur de l’espacement est un paramètre programmable, qui peut être ajusté par exemple en fonction de la hauteur des paquets. L’accélération est réalisée en réglant la vitesse de l’ensemble des convoyeurs supportant le paquet à séparer à 1.5m/s, soit la vitesse maximal (correspondant à la vitesse de sortie). Cet ensemble de convoyeurs évolue à chaque nouveau cycle avec le déplacement du paquet en cours de séparation. Le système de vision se charge de suivre en temps réel la position et l’orientation afin de renseigner le contrôleur de mouvements pour que celui-ci soit à même d’agir sur l’ensemble de convoyeurs approprié.
Parce que le réseau de manipulation possède une résolution finie, il peut se produire des interférences lorsque l’un des convoyeurs supporte plus d’un paquet. Pour cela, les dimensions des convoyeurs du réseau ont été calculées pour que l’influence de ces interférences reste négligeable.
Le concept d’alignement consiste à appliquer des vitesses différentes aux convoyeurs situés de part et d’autre de l’axe médian d’un paquet isolé, de manière à faire pivoter ce dernier pour l’aligner dans le sens de la longueur. Les opérations d’extraction et d’alignement sont réalisées de façon simultanées. Cependant, en raison des limites de résolution, les paquets possédant des dimensions proches de celles d’un convoyeur du réseau ne sont pas alignés.
Le contrôleur de mouvements fonctionne comme une machine d’états. A tout moment le contrôleur associe un état à chacun des paquets présents dans l’installation. Les paquets ayant subit les opérations d’extraction et d’alignement se déplacent à la vitesse de 1.5 m/s tandis que les autres sont convoyés à la vitesse de 0.5 m/s, soit la vitesse du convoyeur d’entrée. Une bonne coordination avec la portion SWD est nécessaire afin d’assurer une évacuation des paquets conforme au mode sélectionné (droite, gauche ou les deux). La modification du mode d’évacuation intervient le plus souvent lorsqu’il se produit un blocage, en aval, sur l’un des deux convoyeurs de sortie. Cela permet d’assurer la continuité des opérations
Un modèle virtuel de l’installation a été conçu pour tester la stratégie de contrôle avant de l’implémenter sur le prototype physique. La figure 14 montre les résultats d’une simulation. La couleur des paquets correspond à leur état. Bleu, rouge et vert correspond respectivement aux états non-extrait, extrait et aligné. La variation de la vitesse des convoyeurs du réseau est représentée par différents niveaux de gris, les plus clairs correspondant aux vitesses les plus élevées.
De nombreuses caractéristiques influant sur le mode de fonctionnement réel de l’installation, telles que le temps de latence des capteurs, la forme aléatoire des paquets ainsi que l’éventualité d’un pic d’affluence à l’entrée du dispositif, ont été omises dans le cadre de cette simulation.
Figure 14 : simulation d’une séquence de séparation et d’alignement de 15 paquets.
Figure 15 : photos de l’installation en phase de test.
Toutefois les tests réalisés sur le système réel ont démontré des performances tout à fait honorables : moins d’une erreur par heure en fonctionnement nominal (6 mpph) ainsi que pour des vitesses supérieures, jusqu’à 8 mpph.
Dan Reznik et Yakup Genc – Centre de recherche Siemens
Ricardo Schiesser – Siemens Dematic
Michael Wynblatt – Centre Technology to Business Siemens
Article paru dans la revue ATP International
Traduction et adaptation Christian Groeppelin
J39p83
De nombreuses applications de tri industrielles nécessitent la mise en œuvre de systèmes de séparation et d’alignement de paquets, capables, à partir d’un flux d’entrée constitué d’un ensemble hétérogène et désorganisé d’éléments, de former un ou plusieurs flux de sortie véhiculant des éléments espacés et alignés. Les solutions traditionnelles se limitent à des systèmes « purement mécaniques » en boucle ouverte. Le maniement des paquets y est réalisé par le biais d’interactions mécaniques prédéfinies, avec très peu ou pas de contrôle logiciel.
La génération d’installations présentée dans cet article se différencie des solutions traditionnelles par l’utilisation d’éléments hardwares génériques, et par la mise en œuvre d’un système de maniement des paquets guidé par vision et piloté par des algorithmes de contrôle de mouvements en boucle fermée.
Ces installations présentent un rendement comparable à celui des solutions traditionnelles, pour un encombrement réduit de 30 à 50%. Un fonctionnement sans collision élimine les risques d’endommagement des paquets.
Enfin, elles permettent grâce à la flexibilité de leur programmation, de répondre à des exigences fonctionnelles que les systèmes traditionnels sont incapables de satisfaire, telles que la sélection des espacements, des modes de sortie, etc.
De la mécanique à la vision
L’opération qui nous intéresse consiste à traiter un flux d’entrée véhiculant des éléments disposés en vrac, pour le transformer en un ou plusieurs flux de sorties organisés, comme illustré sur la figure 1. Il est admis que les éléments du flux d’entrée ne doivent pas se chevaucher. La principale caractéristique du flux de sortie est de ne pas contenir d’éléments disposés côte à côte. Un espacement minimum est imposé entre deux paquets consécutifs pour permettre le déchargement un à un des éléments, comme le montre la figure 2. Par convention le sens d’écoulement des flux est représenté de la droite vers la gauche. Les taux d’écoulement sont mesurés en milliers de paquets par heure, ou « mpph » par commodité d’écriture (différentes valeurs de taux d’écoulement sont représentées en figure 3).
Figure 1 : Le flux d’entré désordonné contenant de nombreux paquets côte à côte est transformé en un ou plusieurs flux de sortie constitués de paquets alignés, séparés d’une distance minimale.
Figure 2 : Définition de la notion de distance minimal séparant deux paquets consécutifs.
Figure 3 : Distributions calculées et générées par un programme informatique, pour une vitesse de convoyage de 0.5 mètre par seconde et une largeur de tapis roulant de 1.6 mètres.
Ce type d’opération intervient typiquement à la suite de déchargements ou de déversements. La figure 4 représente l’enchaînement des différentes étapes d’un processus de tri classique, pour lequel la séparation des paquets constitue la première opération à réaliser. Celle-ci est généralement suivie d’une série d’opérations telles que reconnaissance de code à barres, pesage, étiquetage, etc..
Figure 4 : Représentation des différentes étapes d’un processus de tri classique. L’opération de séparation des paquets constitue la première opération à réaliser.
L’état actuel de l’art consiste en des solutions « purement mécaniques », avec très peu ou pas de contrôle logiciel. Ceci peut être expliqué par l’origine mécanique de la plupart des concepteurs industriels, à quoi il faut ajouter les velléités de beaucoup d’industriels à l’égard de la robustesse des solutions de contrôle par capteurs. Une approche commerciale est illustrée en figure 5. Le flux d’entrée composé de paquets disposés en vrac arrive en (a). Des rouleaux inclinés poussent l’ensemble des paquets contre un mur (b). Seuls les paquets collés contre le mur sont évacués (d). Les autres paquets sont redirigés (e) vers une fosse dans laquelle ils tombent (f). Ceux-ci sont ensuite réintroduits dans le processus après élévation vers l’entrée de la machine (g).
Figure 5 : En haut : concept de séparation des paquets « entièrement mécanique ».
En bas : comparaison des empreintes au sol d’une machine purement mécanique et de la solution présentée dans cet article.
Le principal avantage d’une solution en boucle ouverte est qu’elle permet de se départir totalement de la complexité liée à la mise en œuvre d’un système informatique de contrôle. Par ailleurs une telle solution permet d’aligner les paquets de façon simple, grâce à une force qui les colle contre un mur. Cependant, l’un des gros inconvénients est que pour éviter les engorgements il convient de prévoir une zone de réinsertion des paquets très large (typiquement une surface de 15×5 m² est nécessaire).
Par ailleurs les nombreux moteurs chargés d’entraîner les convoyeurs et autres rouleaux consomment beaucoup d’énergie et sont générateurs de bruits. D’autres limitations importantes sont à noter, comme l’impossibilité de fixer un espacement minimal entre les paquets, l’endommagement des paquets dû aux multiples collisions (contre le mur et contre d’autres paquets, ou lors de la chute des paquets dans la fosse), la difficulté à gérer les engorgements, la fréquente nécessité d’interventions humaines, etc.
Les progrès réalisés récemment dans les domaines de la vision temps réel et du contrôle de mouvements permettent d’envisager une approche radicalement différente.
L’innovation est née de la recherche d’une solution à une problématique réelle de tri industrielle. Celle-ci devait répondre à des exigences fonctionnelles avancées et à des contraintes d’encombrement très strictes, que les solutions actuelles ne pouvaient en aucun cas satisfaire. Cette application nécessitait la mise en œuvre d’une machine de séparation et d’alignement à deux sorties de 3 mpph chacune (soit 6 mpph au total), avec un taux de défaillance très faible (moins d’une erreur par heure). Le tout devait tenir sur une surface très réduite, environ cinq fois plus petite que l’empreinte des solutions existantes (voir figure 5). De plus, la distance séparant les paquets devait être réglable, de même que la sélection du mode de sortie (à droite, à gauche, ou droite-gauche simultanément).
Un nouveau système a donc été développé pour répondre à ces besoins. Son architecture est composée de trois éléments principaux : (i) un système mécanique de maniement distribué, (ii) un système de vision temps réel, et (iii) un contrôleur de mouvements. Ces éléments, qui seront détaillés plus tard, sont interconnectés comme décrit sur la figure 6.
Figure 6 : les composants principaux de la nouvelle solution de séparation et d’alignement de paquets.
Le système mécanique
Les composants principaux du système mécanique sont décrits plus en détail sur la figure 7. Le système comprend (a) un convoyeur de « vrac », dit convoyeur « bulk », (b) un réseau de petits convoyeurs juxtaposés (singulator bed) dont les vitesses sont réglables indépendamment, (c) une succession de rangées de roulettes orientables (SWD pour steering wheel diverter), (d) une portion constituée de rouleaux (RJ pour roller junction) assurant la jonction vers les deux convoyeurs de sortie (e) et (f).
Figure 7 : Les principaux composants du système mécanique.
Le convoyeur « bulk » se charge d’acheminer les paquets vers le système à une vitesse donnée, typiquement de l’ordre de 0.5 m/s. En fonctionnement nominal, le taux d’entrée est de 6 mpph, avec des pointes de courtes durées pouvant atteindre 7.5 mpph. Afin d’éviter les engorgements le contrôleur de mouvements peut réduire la vitesse du convoyeur en cas de pic d’affluence prolongé.
Le réseau de petits convoyeurs compte sept éléments dans le sens de la longueur, et douze dans le sens de la largeur. Chaque élément est piloté par un servomécanisme individuel situé sous le tapis, pouvant être contrôlé en vitesse de façon indépendante. Chaque module est conçu pour être extractible et remplaçable. Dans la mesure où le nombre le plus important de séparations de paquets devra être effectué à l’entrée de la machine, une plus grande résolution doit être disponible à cet endroit pour faciliter le maniement des paquets. C’est pourquoi les premières rangées de convoyeurs sont constituées d’éléments plus courts (de moitié) que les rangées suivantes.
La portion SWD (Steering Wheel Diverter) constituée de rangées successives de roulettes orientables permet aux paquets d’être dirigés vers l’une ou l’autre des deux sorties. Pour cela chaque rangée de roulettes peut être orientée dans trois directions différentes : tout droit, vers la droite ou vers la gauche. La vitesse de convoyage des paquets est maintenue constante (1.5 m/s) dans cette portion.
La portion dite RJ (pour Roller Junction), également baptisée jonction à chevrons, consiste en un arrangement symétrique de rouleaux entraînés à une vitesse égale à la vitesse d’évacuation (1.5 m/s). Lorsque les paquets sortent de la portion SWD et qu’il pénètrent dans l’une des deux zones RJ, ceux-ci prennent alors un virage en douceur pour se diriger vers le convoyeur de sortie correspondant.
Les convoyeurs de sortie sont de simples convoyeurs de décharge entraînés à la vitesse de 1.5 m/s. Une fois dans cette portion, les paquets sont séparés, alignés, et prêts à être acheminés vers des stations à plus fortes valeurs ajoutées (typiquement ils subiront un ensemble d’opérations successives tels que reconnaissance de code à barre, pesage, étiquetage, etc.).
Un aperçu en trois dimensions de l’installation est proposé en figure 10. Il a été généré à l’aide d’un outil de simulation et permet de visualiser un ensemble de paquets en cours de traitement. Les figures 8 et 9 montrent le prototype physique de la solution qui a été construit en vue de la réalisation de tests.
Figure 8 : Sur le prototype physique, on voit un ensemble de paquets situés à l’entrée du séparateur. La structure surmontant l’installation est équipée de six caméras utilisées par le système de vision temps réel.
Figure 9 : Détail de la zone d’évacuation de l’installation. Sont visibles les trois dernières rangées de convoyeurs de la zone « singulator bed », la zone SWD (Steering Wheel Diverter) en entier ainsi qu’une portion de la zone de jonction à chevron RJ.
Figure 10 : Modèle 3D de l’installation montrant un ensemble de paquets en cours de traitement.
Le système de vision
Comme le montre la figure 6, le système de vision fournit au contrôleur de mouvements des informations concernant la géométrie des pièces. Une illustration du principe de fonctionnement en boucle fermée de l’installation est proposée en figure 11. Les images acquises par les caméras surplombant l’installation ainsi que par les capteurs permettent de déterminer en temps réel les dimensions des paquets, leur emplacement ainsi que leur orientation. Le contrôleur de mouvements exploite ensuite les informations qui lui sont transmises pour piloter les convoyeurs et ainsi manipuler les paquets.
Figure 11 : Le fonctionnement en boucle fermée de l’installation. Des caméras ainsi que d’autres capteurs fournissent au système de vision les données nécessaires. Les dimensions et emplacements des paquets reconstitués sont affichés à l’écran, en superposition de l’image d’origine (segments rouges). Ces informations sont périodiquement transmises au contrôleur de mouvements.
La première tâche réalisée par le système de vision est la reconstruction du modèle en trois dimensions de chacun des paquets. Son travail consiste ensuite à suivre en temps réel l’évolution de la position et de l’orientation de chacun des paquets. La reconstruction du modèle 3D est réalisée grâce à une paire de caméras située à l’entrée de l’installation. Un réseau de capteurs niché entre le convoyeur bulk et la première rangée de convoyeurs de la zone « singulation bed » permet de relever l’empreinte de chacun des paquets, et complète les informations fournies par les caméras pour la reconstruction des modèles 3D.
Une fois que leurs modèles 3D ont été construits, les paquets pénétrant dans le système sont « traqués » par quatre caméras surplombant la zone. Le système de vision fonctionne à une fréquence de 30 images par seconde, sur une plateforme serveur quadri-processeurs de type Xeon (voir figure 12).
Figure 12 : Aperçu détaillé du système de vision et de son interaction avec le contrôleur de mouvements. La géom&
acute;trie et l’emplacement des paquets sont communiqués au contrôleur de mouvements par l’intermédiaire d’une liaison Ethernet. A chaque cycle, le contrôleur de mouvements calcul un nouvel ensemble de valeurs, déterminant la vitesse de chacun des servo-mécanismes pilotant le réseau de convoyeurs (de manière à réaliser la séparation des paquets).
Figure 13 : Une série de photos de l’écran principal du système de vision. (a) localisation des paquets le long de la zone de séparation. (b) résultat des mesures effectuées par le réseau de capteurs (celui-ci fonctionne comme un scanner relevant les empreintes des paquets pénétrant dans la zone de séparation). (c) Images du suivi des paquets réalisé à l’aide des caméras 3-6.
La reconstruction des modèles 3D ainsi que le suivi des paquets atteint une précision spatiale de l’ordre du centimètre. Cela s’avère largement suffisant pour ce type d’application. Toutefois un tel niveau de précision demande de prêter une attention particulière au calibrage des capteurs, de façon à ce que toutes les données géométriques et dimensionnelles puissent être considérées comme étant relatives à un référentiel commun. Un processus convivial de calibrage a été utilisé. Celui-ci consiste à placer des marqueurs à différents endroits prédéterminés. Ceux-ci sont reconnus par le système de vision. Le calibrage est alors réalisé automatiquement.
Le contrôle en boucle fermée nécessite une estimation précise des temps de latence introduits durant les mesures et lors des transferts d’informations entre le système de vision et le contrôleur de mouvements. Une estimation empirique des différents délais introduits par le système a permis d’améliorer la précision des algorithmes de contrôle de mouvements. L’ensemble des délais combinés représente un temps de latence total de l’ordre de 100 ms.
Le contrôle de mouvements
Le contrôleur de mouvements est responsable du calcul des vitesses et du réglage des paramètres des éléments mécaniques du système. Parmi les grandeurs mises à jour à chaque nouveau cycle, les principales sont : la vitesse du convoyeur « bulk » acheminant les paquets en vrac à l’entrée du système, la vitesse de chacun des 84 convoyeurs indépendants constituant le réseau « singulation bed », et l’orientation de chaque rangée de roulettes de la portion SWD.
Le contrôle de mouvements en boucle fermée du système nécessite une description périodique et précise de la géométrie des paquets en cours de traitement (position, orientation et dimensions). Toutes les informations nécessaires sont fournies au contrôleur par le système de vision, il fournit au contrôleur une liste de paquets identifiés de façon unique, avec pour chacun de ces paquets une liste de coordonnées (l’origine du repère 3D est fixée au coin inférieur gauche de la zone « singulation bed »).
Le principe de la séparation des éléments est basé sur la possibilité d’accélérer le mouvement de certains paquets, afin de permettre à ceux-ci de « dépasser » les autres paquets situés au même niveau et ainsi se retrouver isolés. Deux opérations de base sont réalisées par le contrôleur de mouvements : (i) l’extraction et (ii) l’alignement.
L’opération d’extraction correspond à l’accélération de certains paquets (qui ne sont pas bloqués par d’autres) jusqu’à ce que la distance créée entre ces paquets et ceux évoluant plus lentement (la vitesse minimale est la vitesse d’entrée, soit 0.5m/s) soit suffisamment importante. La valeur de l’espacement est un paramètre programmable, qui peut être ajusté par exemple en fonction de la hauteur des paquets. L’accélération est réalisée en réglant la vitesse de l’ensemble des convoyeurs supportant le paquet à séparer à 1.5m/s, soit la vitesse maximal (correspondant à la vitesse de sortie). Cet ensemble de convoyeurs évolue à chaque nouveau cycle avec le déplacement du paquet en cours de séparation. Le système de vision se charge de suivre en temps réel la position et l’orientation afin de renseigner le contrôleur de mouvements pour que celui-ci soit à même d’agir sur l’ensemble de convoyeurs approprié.
Parce que le réseau de manipulation possède une résolution finie, il peut se produire des interférences lorsque l’un des convoyeurs supporte plus d’un paquet. Pour cela, les dimensions des convoyeurs du réseau ont été calculées pour que l’influence de ces interférences reste négligeable.
Le concept d’alignement consiste à appliquer des vitesses différentes aux convoyeurs situés de part et d’autre de l’axe médian d’un paquet isolé, de manière à faire pivoter ce dernier pour l’aligner dans le sens de la longueur. Les opérations d’extraction et d’alignement sont réalisées de façon simultanées. Cependant, en raison des limites de résolution, les paquets possédant des dimensions proches de celles d’un convoyeur du réseau ne sont pas alignés.
Le contrôleur de mouvements fonctionne comme une machine d’états. A tout moment le contrôleur associe un état à chacun des paquets présents dans l’installation. Les paquets ayant subit les opérations d’extraction et d’alignement se déplacent à la vitesse de 1.5 m/s tandis que les autres sont convoyés à la vitesse de 0.5 m/s, soit la vitesse du convoyeur d’entrée. Une bonne coordination avec la portion SWD est nécessaire afin d’assurer une évacuation des paquets conforme au mode sélectionné (droite, gauche ou les deux). La modification du mode d’évacuation intervient le plus souvent lorsqu’il se produit un blocage, en aval, sur l’un des deux convoyeurs de sortie. Cela permet d’assurer la continuité des opérations
Un modèle virtuel de l’installation a été conçu pour tester la stratégie de contrôle avant de l’implémenter sur le prototype physique. La figure 14 montre les résultats d’une simulation. La couleur des paquets correspond à leur état. Bleu, rouge et vert correspond respectivement aux états non-extrait, extrait et aligné. La variation de la vitesse des convoyeurs du réseau est représentée par différents niveaux de gris, les plus clairs correspondant aux vitesses les plus élevées.
De nombreuses caractéristiques influant sur le mode de fonctionnement réel de l’installation, telles que le temps de latence des capteurs, la forme aléatoire des paquets ainsi que l’éventualité d’un pic d’affluence à l’entrée du dispositif, ont été omises dans le cadre de cette simulation.
Figure 14 : simulation d’une séquence de séparation et d’alignement de 15 paquets.
Figure 15 : photos de l’installation en phase de test.
Toutefois les tests réalisés sur le système réel ont démontré des performances tout à fait honorables : moins d’une erreur par heure en fonctionnement nominal (6 mpph) ainsi que pour des vitesses supérieures, jusqu’à 8 mpph.
Dan Reznik et Yakup Genc – Centre de recherche Siemens
Ricardo Schiesser – Siemens Dematic
Michael Wynblatt – Centre Technology to Business Siemens
Article paru dans la revue ATP International
Traduction et adaptation Christian Groeppelin