Dans la synthèse n°21 publiée en septembre
dernier, La Fabrique de l’industrie propose sous les
plumes d’Anne-Sophie Alsif et Marie-Laure Cahier1 ,
de tirer des enseignements sur la manière dont
l’Industrie 4.0 s’implante en Italie. Cette étude suit
celles déjà consacrées à approcher la situation
d’autres pays, comme précédemment l’Allemagne,
la Suède, les États-Unis et le Royaume-Uni.
C’est peu dire que la crise qui s’est ouverte il a dix ans a durement frappé l’Italie. A partir de 2008, le pays a subi une récession dont le point le plus bas a été atteint en
2009, avec une contraction de 5,5 %. L’équilibre n’a été
retrouvé qu’en 2014 avec une croissance nulle. Depuis quatre
ans, le secteur privé semble renouer avec une trajectoire
positive, mais de nombreuses incertitudes politiques et
économiques pèsent toujours sur l’avenir de la péninsule.
Reposant sur des stimulations fiscales et des crédits d’impôt, le
Piano Nazionale Impresa 4.0 lancé en septembre 2016 vise
principalement à assurer la modernisation de l’appareil de
production et à favoriser l’innovation. Dans les usines
transalpines, la révolution numérique n’en est encore qu’à ses
prémices et jusque dans les grands groupes, on observe
davantage un toyotisme augmenté par les technologies
numériques qu’un véritable bouleversement.
L’Italie compte plus d’entreprises que la France – 4,4 millions
contre 3,8 millions – avec une taille moyenne inférieure à celle
de leurs homologues européennes dans toutes les catégories.
En Italie, les PME représentent 99,9 % du total des entreprises
et 80 % de l’emploi privé. Ces unités sont à 95 % des microentreprises comptant moins de dix salariés, l’effectif moyen se
situant à quatre salariés contre six dans l’Union européenne. Les
micro-entreprises occupent donc une place plus importante
qu’ailleurs dans le système de production. Elles emploient 47 %
des actifs et produisent 30 % de la valeur ajoutée.
L’industrie italienne est donc dominée par les PME
manufacturières de petite taille, majoritairement à
gouvernance familiale, réputées dans des secteurs comme la mode, le textile, le cuir, l’ameublement ou l’agro-alimentaire.
UNE SITUATION SEMBLABLE À CELLE DE
LA FRANCE
L’Italie présente des similitudes avec la France. Selon Eurostat,
en 2016, la part de l’industrie manufacturière dans le PIB y était
de 14,6 % contre 10,2 % en France. Entre 1995 et 2015, cette part
a baissé de 5,1 points dans les deux pays. De même, le poids de
l’industrie dans l’emploi total a baissé respectivement de 5,2 %
et 5,6 % en France et en Italie sur la même période, passant de
16,1 % à 10,9 % en France et de 22,5 % à 16,9 % en Italie.
Comme en France, certaines entreprises ont cependant su
traverser la crise, quitte à rebondir en réalisant des
investissements ciblés sur la modernisation des équipements
de production, le capital immatériel et la montée en gamme.
Présenté par le Ministre italien de l’industrie en septembre
2016, le Piano Nazionale Impresa 4.0 consiste principalement en
des stimulations fiscales à destination des entreprises. Il
comporte des mesures de suramortissement, un crédit d’impôt
recherche et un crédit d’impôt formation, et n’est pas
particulièrement orienté vers un soutien à la recherche
publique, contrairement aux plans nationaux d’autres pays,
dont la France, qui privilégient une approche mixte.
À la fin 2017, un rapport KPMG dressant un bilan de la première
année de mise en œuvre du plan indiquait que 67 % des
moyennes et grandes entreprises interrogées avaient activé au
moins un instrument du plan, sans établir pour autant une
corrélation entre ce plan et les signaux positifs donnés par les
entreprises italiennes. En effet, 44 % des entreprises
interrogées déclaraient qu’elles auraient procédé à un
investissement, même en l’absence d’incitation publique.
Le modèle de l’Industrie 4,0 conçu pour la
grande industrie allemande appuyée sur
un réseau de PME habituées à collaborer
étroitement, peut-il se développer d’une
manière comparable en Italie ?
Contrairement à l’Allemagne, le problème
de la patrie des César n’est pas tant de
personnaliser une production de masse
que d’industrialiser l’artisanat.
Personnalisation, flexibilité et orientation
client caractérisent déjà le modèle
productif italien. L’introduction des
nouvelles technologies représente
l’opportunité de conjoindre croissance
des volumes, productivité et qualités
propres.
UNE SMART INDUSTRY À
L’ITALIENNE
Pour de larges pans du tissu industriel
italien, il ne s’agit pas d’apporter de la
flexibilité à des productions à haute
intensité capitalistique mais de produire
davantage de volume et d’acquérir une
culture industrielle, sans sacrifier pour
autant le caractère artisanal des
productions, ni la capacité à occuper des
niches aux volumes limités mais à haute
valeur ajoutée. Quand l’Industrie 4.0
allemande met l’accent sur la flexibilité
d’usines pouvant tendre vers la
« personnalisation de masse », la
production italienne part d’une situation
où flexibilité et personnalisation
caractérisent déjà son modèle initial.
La production intelligente pourrait
avantager les productions italiennes, dans
la mesure où celles-ci sont depuis
toujours orientées vers la
personnalisation. Nous aurions ainsi une sorte de retour au caractère artisanal de
la production, qui ne serait plus une niche
de résistance par défaut, mais bien une
déclinaison de l’innovation et du
développement industriel 4.0.
Des applications sont déjà
opérationnelles dans la haute couture ou
la chaussure sur-mesure, avec des
scanners 3D permettant d’adapter les
produits à la morphologie de chaque
client. Mais d’autres secteurs sont
potentiellement concernés, de la couleur
personnalisée des carrelages à la
conception sur-mesure des canapés et
des lits, des revêtements muraux en
marbre ou en bois à la personnalisation
des lunettes et autres accessoires de
mode.
La spécialisation de niche, caractéristique
du positionnement stratégique de
nombreuses PME italiennes, présenterait
ainsi une compatibilité intéressante et
inattendue avec les technologies de
l’Industrie 4.0. Les technologies
intelligentes sont loin d’être entrées
partout et leur présence demeure limitée
et discontinue.
L’OPÉRATEUR 4.0, MIEUX INSTRUIT
MAIS MOINS COMPÉTENT ?
L’usine intelligente ne révèle pas un simple aplatissement
des lignes hiérarchiques, la réalité est plus complexe.
Il serait prématuré d’affirmer que l’usine du futur requerra
une élévation globale des compétences. Il s’agit plutôt de
compétences différentes, ou priorisées différemment.
L’ouvrier-expert ou artisan, aux compétences issues de
l’expérience accumulée ou d’un savoir-faire technique
pointu mais étroit, cède de plus en plus la place à
l’opérateur polyvalent, multitâches, à l’aise avec les
terminaux numériques, qui supervise une fraction plus
grande du processus de production, sans forcément
disposer de connaissances techniques spécialisées.
Piloter un robot de soudage nécessite-t-il plus de
compétences que de souder soi-même ? Paradoxalement,
l’industrie du futur semble à la recherche d’une main
d’œuvre plus instruite mais moins compétente ou
différemment compétente, ce qui n’est pas sans impact
sur l’orientation que devront prendre les politiques de
formation.
Il reste à confirmer que la polyvalence requise par
l’élargissement des tâches correspondra bien à un
enrichissement de celles-ci et non à un appauvrissement
des postes. Être équipé d’une tablette, d’un casque avec
écouteurs ou même d’un masque de réalité virtuelle n’est
pas le signe que le travail est devenu en soi plus riche et
intéressant. L’industrie 4.0 pourrait représenter une porte
d’entrée aussi bien vers des emplois plus gratifiants que
vers un « fordisme numérique », tel qu’on peut le voir à
l’œuvre dans la logistique, l’un des secteurs les plus
avancés dans l’intégration des technologies
numériques.