par Jean-Pascal Tricoire,
Président-Directeur général de Schneider Electric
Internet a profondément modifié notre quotidien. Nos façons
de communiquer, de consommer, de travailler, ont été bouleversées. Tout comme
il s’est intégré à nos vies, Internet a naturellement investi le monde
industriel.
Dans la continuité de l’Internet of people, nous assistons au
développement de l’Internet of things : une maille entre éléments
matériels, une sorte de « réseau social »
pour objets. Au cœur de la convergence des technologies de l’information et des
techniques de production, cette communication entre objets contribue
aujourd’hui à la naissance de l’industrie intelligente : celle où les
outils de production sont interconnectés, « conscients »
et actifs.
L’enjeu est de taille. Le prix des matières premières et
celui de l’énergie ne cessent d’augmenter, tout comme la demande croissante de
productivité et de sécurité. Lorsque l’on sait que 75 % de l’activité
industrielle consiste à produire des objets matériels et que les usines
consomment 35 % de l’énergie produite mondialement, on comprend mieux à
quel point l’optimisation des outils de production est cruciale.
Les usines sont déjà connectées, et cela leur apporte
flexibilité et réactivité. Mais la diffusion à large échelle de ce principe
présuppose la création d’interconnexions au sein d’un écosystème hétéroclite et
hiérarchisé. Les défis auxquels l’industrie intelligente doit faire face pour
se développer sont nombreux : augmentation nécessaire des capacités de calcul
et de stockage, cybersécurité, standardisation des échanges.
Optimiser la production en passant des automates à
l’intelligence artificielle
La dernière révolution industrielle de notre histoire
coïncide avec l’apparition de la robotique et des automatismes. Rappelons que
le premier automate programmable au monde a été créé par la société Modicon,
qui fait partie de notre Groupe depuis 1996. L’utilisation de l’électronique a
transformé considérablement la production industrielle. Aujourd’hui, la
nouvelle rupture consiste à façonner des unités de production autonomes,
intelligentes. Pour ce faire, il est nécessaire de distribuer la capacité de
décision et de coordination encore trop centralisée, et de diffuser
l’intelligence qui s’y trouve à toutes les les parties prenantes du processus
industriel : collaborateurs, fournisseurs amont et aval, et clients. Cette
démarche doit s’étendre aux différentes activités (supply chain, production,
logistique. Il s’agit de créer un continuum reliant l’ensemble de ces
composants, afin de générer un terrain propice à des interactions entre tous
les acteurs contribuant à une même activité.
Tout comme l’Internet of people a modifié les rapports entre
personnes, l’Internet of things est en train de changer les relations entre
sociétés. Cette mise en réseau globale permettra d’établir des interactions
dynamiques et flexibles, et d’aboutir à des décisions plus réactives et
décentralisées, donc plus pertinentes.
Les produits et les équipements possédant la capacité de
communiquer entre eux vont contribuer à l’optimisation de la production.
Prenons l’exemple d’une chaîne de montage : s’il manque un composant,
l’outil peut de lui-même décider de stopper ses activités, de passer une
commande pour réalimenter le stock, et d’alerter les responsables. Dans le
domaine de l’énergie, les équipements « conscients »
de leur consommation pourront se connecter et se déconnecter selon les
situations. Le système de supervision devient alors une sorte d’agent
intelligent œuvrant automatiquement à la maîtrise des énergies.
Parvenir à ce résultat suppose qu’il subsiste une hiérarchie
établie entre les éléments qui constituent l’écosystème, tout en accordant
suffisamment de liberté à chacun.
Les logiciels d’aide à la décision sont le
premier échelon de cette évolution. Ils fonctionnent grâce à des simulateurs
alimentés par de grandes quantités de données et animés par des algorithmes
puissants. Et ils existent déjà ! Pour preuve, AQUIS, notre système d’aide
à la décision dédié à la gestion de l’eau, est aujourd’hui opérationnel dans
plus de 1500 villes dans le monde et fournit aux professionnels des métiers de
l’eau un support technologique pour subvenir aux besoins de 100 millions de
foyers.
L’étape suivante est la prise de décision
par les machines elles-mêmes. N’ayons pas peur des mots : c’est bien
d’intelligence artificielle dont nous parlons ici. L’Homme devient alors
l’organe de surveillance et d’organisation. La part belle est faite à l’ingénierie
et la planification, et les décisions les plus basiques sont déléguées aux
systèmes. Les technologies nécessaires existent déjà elles aussi ! Elles
doivent maintenant se diffuser à grande échelle.
Pour se développer ainsi, ces technologies
requièrent une augmentation des capacités de calcul et de stockage. Analyser de
grandes quantités de données pour en extraire des modèles récurrents, des
patterns, est indispensable pour obtenir des simulateurs suffisamment
puissants. Cela permet de réduire considérablement les temps de prise de
décision et d’atteindre à terme le temps réel. Ce n’est pas un défi
insurmontable. Le Cloud et le Big data apportent d’ores et déjà des solutions.
Les deux piliers de cette évolution : standardisation et
cybersécurité
Nous pouvons aujourd’hui observer quelques grandes industries
déployer des solutions de ce type en interne sur des chaînes de montage par
exemple. Mais comment interagir avec un écosystème global et diffus ? Il
faut être capable de répercuter l’intelligence vers des composants plus petits,
et ainsi créer une maille de prise de décision au plus proche du terrain. Les
systèmes d’information seront désormais de plus en plus distribués. La
standardisation des échanges devient alors le premier défi de la nouvelle
révolution industrielle.
La volonté de standardisation tiendrait-elle du vœu
pieux ? Force est de constater que cela n’est pas le cas dans d’autres
domaines. Dans le secteur bancaire, le SEPA (Single Euro
Payment Area) sera définitivement adopté en février 2014. Alors,
pourquoi pas l’industrie ?
Schneider Electric a toujours préconisé une collaboration
globale afin d’aboutir à une communication ouverte, à la standardisation, et à
la globalisation de l’interopérabilité. Depuis des années, nous participons activement
à des groupes de standardisation comme ODVA ou FDT, et avons été des pionniers
et ardent défenseurs du développement de l’Ethernet dans l’industrie en
substitution de protocoles propriétaires et fermés. Nous ne découvrons pas le
concept d’industrie intelligente : nous y travaillons depuis plus de vingt
ans. En témoignent MachineStruxure, PlantStruxure et EcoStruxure : autant
de solutions et d’architectures qui intègrent distribution électrique et
technologies d’automatismes pour contribuer à l’optimisation de l’environnement
industriel dans sa globalité.
Cependant, basculer vers des services intelligents va au-delà
du simple échange d’informations et de la standardisation de ces échanges. Cela
concerne en premier lieu la modélisation de la réalité, c’est à dire de la
structure même de l’information. Les canaux existent déjà. Il manque
aujourd’hui les langages communs pour assurer l’homogénéisation de l’écosystème
industriel.
Autre point crucial de cette évolution : la sécurité. La
responsabilité ici est grande. Il s’agit de prendre en considération la
cybersécurité autant que la sécurité physique : l’accès aux données est
aussi important que l’accès aux machines. Il faut pour cela aligner cette
cybersécurité sur l’évolution de l’Internet, et s’adapter au niveau
d’intelligence et d’interaction des composants qui deviennent de plus en plus
fins et nombreux.
L’industrie est prête à accueillir ce nouveau concept
Adopter une démarche industrielle intelligente c’est prendre
en considération le cycle de vie du produit dans sa globalité, et permettre à
chaque intervenant, homme ou machine, de connaître son rôle et ses
responsabilités dans cette chaîne. Il faut déléguer au maximum à la machine
pour concentrer l’homme sur l’intelligence des processus.
Cette nouvelle démarche demande de repenser fortement les architectures
du passé. Cette évolution se fera naturellement avec l’arrivée d’une génération
habituée à travailler avec des informations à la fois virtualisées,
contextualisées, personnalisées et distribuées. Et les technologies existent.
Il nous faut maintenant travailler ensemble afin de les développer et de les
diffuser.
Jean-Pascal Tricoire
- Agé de 50 ans, Jean-Pascal Tricoire a rejoint
Schneider Electric en 1986. - Titulaire d’un diplôme en Ingénierie
Electronique et d’un MBA ; il a été nommé Président du Directoire du
Groupe en 2006 et devient Président-Directeur général en avril 2013. - Son parcours chez Schneider Electric se
développe largement hors de France, et le conduit dans des fonctions
opérationnelles en Italie, en Chine, en Afrique du Sud et aux Etats-Unis. - Au sein de la Direction Générale, il occupe
les fonctions de Vice Président Exécutif de la Division Internationale à partir
lt;br/> de 2002, avant d’être nommé en 2004 Directeur Général Délégué (COO) du Groupe. - Il est également Président du Comité
France-Chine depuis 2009.