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RENAULT INVENTE L’INTERNET DES OBJETS DE L’INDUSTRIE AUTOMOBILE

C’est devenu une marotte, on parle d’Internet industriel des
objets un peu partout… Mais quand beaucoup discutent, les
équipes chez Renault, elles travaillent. Le projet « Connected
Plant » prend à la racine, la question de la standardisation des
protocoles, de la description et de la présentation des données
pour créer un réseau de ressources digitales exploitables par
toute une profession.

La constitution aux prémices du 21 siècle, d’un réseau numérique mondial – Internet – est l’événement le plus e
remarquable de la globalisation. Ce succès
planétaire qui transcende les cultures
comme les régimes politiques et tend
à rapprocher les économies, repose sur
une notion d’une exemplaire simplicité :
chaque internaute peut partout dans le
monde, accéder aux mêmes informations,
partager des documents, réagir et poster des
appréciations, converser en temps réel ou en
différé… la liste complète serait interminable.

Ces facilités découlent des piliers sur
lesquelles reposent tous les échanges qui
passent par Internet. Ces bases solides sont
les protocoles utilisés et surtout, acceptés
de manière universelle tant pour le transport
des données et la signalisation sur le réseau
(IP, TCP, UDP, ICMP, IGMP, etc.) que pour la
présentation des données ou les échanges de
fichiers (smpt, ntp, ftp, http, etc.).

Qu’ils s’adressent à des particuliers ou
à des professionnels, tous les services
disponibles au travers d’Internet (World Wide Web, courriel, streaming audio-vidéo,
etc.) sont exploités au moyen de logiciels
standardisés, dont le plus courant reste le
navigateur, véritable « couteau suisse » de la
digitalisation.

L’IT AUX PORTES DE LA
STANDARDISATION

L’informatique qu’on appelle aussi, l’IT, est au
cœur de tous les échanges de documents
dans les entreprises, de même qu’elle
prend en charge tous les besoins liés au
traitement des informations de gestion et
d’administration de l’activité.

Sur ce versant, on constate que le matériel
est plutôt standardisé et que les systèmes et
les logiciels propriétaires sont concurrencés
ici et là par les logiciels libres. Différentes
versions de Microsoft Windows et dans une moindre mesure d’Apple MacOS règnent
quasiment sans partage sur les postes de
travail dans les entreprises. En revanche, le
logiciel libre Linux Debian et celui un peu
moins libre appelé, Red Hat Linux devancent
très largement Windows Server dans les
centres de données.

Dans les logiciels applicatifs, les produits
propriétaires régissent largement les
échanges de documents (.docx, .xlsx, .pptx,
.odt, .pdf, etc.) depuis les postes de travail
et on assiste à une poussée des logiciels
distribués en tant que service en ligne, plus
connus sous l’abréviation SaaS 1 dont le
meilleur exemple est sans doute, Microsoft
Office 365. Les progiciels de gestion intégrés
ou ERP 2, sont aussi très majoritairement des
solutions propriétaires dont l’éditeur allemand
SAP est incontestablement le chef de file.

Puisqu’aucun éditeur n’a réellement réussi
à imposer un modèle unique, le monde
de l’IT a appris à créer, non sans difficultés,
les passerelles qui permettent de partager
et d’exploiter les informations et les
documents entre des logiciels issus d’éditeurs
concurrents. Dans ce domaine, les habitudes
de partage de données et d’applications sans
entraves prises sur Internet, poussent les
éditeurs de logiciels applicatifs à se montrer
plus conciliants et à accepter plus largement
les exigences de convergence exprimées par
les utilisateurs.

LA RICHESSE DE L’OT
COMPLIQUE LA PARTIE

Comparée à ce qui précède, la situation
des technologies numériques à finalités
opérationnelles qu’on abrège en OT, utilisées
pour la production industrielle est toute
autre au regard des critères de convergence
que sont la compatibilité des protocoles de
communication et la portabilité des données
générées au cours des processus.

Dans de nombreux cas, le fournisseur d’une
solution couvre le besoin exprimé par son
client en proposant une cellule conçue
comme un ensemble fonctionnel dont seule
la finalité est posée de manière critique.
Autrement dit, un industriel adoptera par
exemple, des robots ABB pour accomplir
certaines tâches et des robots Fanuc
pour d’autres applications parce que les
fournisseurs des solutions considérées,
couvrent les besoins exprimés en équilibrant
le niveau de performances attendu à un
prix susceptible de remporter l’adhésion du
client. Ce dernier, pour atteindre ses objectifs,
fait l’effort d’acquérir les compétences
nécessaires pour programmer, exploiter et
entretenir, deux types de contrôleurs de
robots industriels, éventuellement maintenir
à jour deux plateformes logicielles et stocker
deux types de consommables et référencer
deux familles de pièces de rechange si
nécessaire.

Que le besoin d’investir dans une nouvelle
technologie comme la robotique
collaborative s’impose et l’entreprise
adoptera par exemple, des bras d’assistance à
l’effort d’Universal Robots, de Kassov Robots
ou de Doosan Robotics pour soulager les
opérateurs sur certains postes de travail
pénibles. Les équipes techniques feront
l’effort d’apprendre de nouvelles méthodes
de programmation ou d’auto-apprentissage,
uniformisant les procédures pour faciliter
les déploiements dans différents ateliers ou
différentes usines.

Une approche relativement similaire
prévaudra pour intégrer à peu près n’importe
quels types de cellules opérationnelles, ce
qui implique de créer des procédures pour
des catégories d’équipements comme les
machines d’usinage à commande numérique,
les bancs de soudage automatisés, les
cellules d’assemblage, les postes de contrôle
et de mesure, les cabines de traitement de
surface, etc.

UNE VISION GLOBALE EN
PHASE OPÉRATIONNELLE
CHEZ RENAULT

Finalement, un site de production
concentre plusieurs dizaines ou centaines
de contrôleurs différents les uns des autres,
autant d’automates programmables et de
PC industriels, des postes de commande,
des terminaux de surveillance, etc., de
provenances et de générations diverses, plus
ou moins spécialisés et issus de technologies
plus ou moins verrouillées.

On imagine sans difficulté que, dans
une grande entreprise de construction
automobile telle que le groupe Renault, la
situation est encore plus complexe. Disséminé
presque partout dans le monde, l’appareil de
production d’un groupe industriel de la taille
de Renault, génère une masse considérable
de données mais sans réelle cohérence en
raison de la très grande variété des sources.

Concernant un grand nombre d’utilisateurs
finaux, la création de ces données poursuit
de multiples buts et connaît simultanément
de multiples raisons comme par exemple,
la mesure de la performance des machines,
la maintenance des équipements de
production, la traçabilité des fabrications, la
qualité et la conformité des véhicules, etc.

Au gré des tableaux de bord et des
applications de reporting, certaines
des données collectées seront utiles à
différents utilisateurs sans qu’elles soient
nécessairement, ni corrélées avec les mêmes
informations, ni approchées au moyen
d’échantillons comparables. De plus, certains
métiers utilisent des applications qui leurs
sont propres. Ainsi, la maintenance des
robots ABB passe par des solutions fournies
par ABB alors que la maintenance des robots
Fanuc s’appuie sur des logiciels évidemment
fournis par Fanuc, ce qui impose de
multiplier les systèmes.

Autre exemple, certaines obligations légales
comme la certification de certains processus
ou la traçabilité des fabrications, posent des
problèmes complexes qui pour l’essentiel,
tiennent à la capacité à identifier les données
d’usage pertinentes.

Les sources de données industrielles se
sont donc ajoutées au fil du temps avec
le renouvellement et la diversification
des équipements, avec la naissance de
nouvelles obligations légales ou encore, la nécessité croissante de disposer d’indicateurs
pertinents à tous les échelons de la
production.

LE CHANTIER
«CONNECTED PLANT»

La situation a progressivement conduit à
multiplier les réservoirs de données qui sont
alimentés par différentes sources au gré
des besoins, ce qui aboutit à des pertes de
temps, impose la duplication des workflows
et accroît les risques de décorrélation des
informations (Schéma 1).

Tant du côté des techniciens qui mettent en
place les sources de données que du point de
vue de ceux qui réutilisent les informations, un
modèle vertueux consiste à décloisonner les
silos et à structurer un réservoir de données
unique où chacun aurait la possibilité de puiser
les données qui l’intéresse (Schéma 2). Il s’agit
en effet, d’arriver à constituer une ressource
numérique globale dans laquelle les données
sont collectées une seule fois et ensuite,
réutilisées autant de fois et aussi souvent
que nécessaire pour répondre à des besoins
d’information extrêmement diversifiés dans
le domaine de la maintenance, de la qualité,
de l’automatisation, de la planification, de la
consommation énergétique, etc. La démarche
vise à piloter les processus par la donnée.

Début 2017, pour mettre en place le chantier
« Connected Plant », le groupe Renault a
constitué un groupe de travail composé d’un expert de l’OT et de deux experts
de l’IT, l’un spécialisé dans le matériel et
les infrastructures et l’autre dans ce qui
relève des ressources logicielles et des
systèmes. La réunion de ces profils reflète le
resserrement des liens qui unissent les métiers
de l’informatique et ceux des technologies
numériques opérationnelles.

Suite à une analyse approfondie des
technologies et à des échanges réguliers au
cours de benchmarks entre grands industriels
parmi lesquels figurent notamment, EdF et
la SNCF, dès juillet 2017, le groupe de travail
a identifié OPC UA comme un standard
de référence pour unifier la connexion des
sources d’informations avec le réservoir de
données du groupe.

L’IMPORTANCE DES
MODÈLES DE DONNÉES

Dans le but de créer un canal de
communication universel, quatre personnes
se sont alors penchées sur les fonctionnalités
de la pile de protocoles et de ressources
logicielles apportées par OPC UA (Schéma 3).

Si différentes approches complémentaires de
mises en œuvre ont pu être modélisées, ces
travaux ont aussi fait ressortir la nécessité de
créer un modèle de données.

Parallèlement, des discussions menées avec
les fournisseurs de robots industriels comme
Fanuc ou Kuka, ont permis de réfléchir à un
modèle de données détaillant : les fonctions
intrinsèques d’un robot, ses fonctions
connexes comme les outils embarqués, ses
fonctions périphériques comme le contrôleur
ou l’automate programmable, etc. Il faut créer
un contexte descriptif pour chaque donnée
appartenant au modèle de données. Ces
réflexions ont abouti à un démonstrateur
qui équivaut à disposer d’un modèle
universel décrivant un ensemble de données
applicables à tous les robots industriels
(Schéma 4a).

De la même manière, il est possible de
c
éer un modèle de données qui recense
les informations qu’il est nécessaire de
collecter pour décrire un véhicule et qualifier
sa fabrication (Schéma 4b). Une fois créé
pour décrire les véhicules personnels, un tel
ensemble de données pourra être enrichi
afin de disposer d’un modèle applicable aux
utilitaires, aux véhicules industriels, etc.
Le modèle de données décrit d’un point de
vue industriel, l’objet auquel il est rattaché.

Les utilisateurs sont ainsi en mesure de savoir
quelles informations ils sont en mesure de
tirer de la ressource où sont stockées les
données. Et bien sûr, le modèle de données
permet d’enregistrer les uns à la suite des
autres, des jeux complets d’informations
décrivant un véhicule donné, un outil, une
machine, un robot, etc.

Un dictionnaire unique regroupe toutes les
fonctions utilisant des données pour couvrir les
attentes de la maintenance, de la traçabilité, de
la qualité, de l’automatisation, etc.

UNE PASSERELLE DÉDIÉE
POUR LES USINES

Pour créer un canal de communication
universel permettant de récupérer les jeux
de données opérationnelles, les équipes de
Renault ont réalisé un codéveloppement avec
Prosyst pour les automates Schneider Electric
et Siemens. Ils ont commencé à travailler
sur des îlots comportant plus d’une dizaine
de robots industriels Fanuc et un automate
programmable à pupitre Siemens, n’offrant
aucune compatibilité avec OPC UA.

La pile de protocoles et les ressources
logicielles contenues dans OPC UA permet
d’encapsuler les modèles de données pour
acheminer des jeux d’informations complets
vers un réservoir de stockage communément
appelé, Datalake par les équipes du
constructeur automobile.

Le codéveloppement avec Prosyst a débouché
sur la mise au point d’une passerelle pour
objets connectés, l’IoT Box qui est un système
client-serveur OPC UA communiquant directement avec les différents réservoirs de
données du groupe.

La technologie OPC UA a été implantée
en Espagne dans l’usine de Valladolid pour
connecter cinq îlots robotisés, ainsi qu’en
Turquie dans celle de Bursa comme en
Roumanie dans l’usine Dacia de Pitesti, afin de
connecter à chaque fois une vingtaine d’îlots.
Ces sites totalisent 505 robots industriels
générant chacun quarante-cinq variables.

La démarche qui conduit au développement
de l’Internet Industriel des Objets du groupe,
passe par la mise en place d’une passerelle IoT
Box dans toutes les usines Renault. La logique
voudrait que cette stratégie s’étende à terme,
aux sites de production de l’alliance RenaultNissan-Mitsubishi.

ELARGIR LES MODÈLES DE
DONNÉES À D’AUTRES
ÉQUIPEMENTS

Au cours de l’année 2018, d’autres équipements
ont été visés par le projet « Connected
Plant». C’est le cas notamment des quelque
6 000 visseuses qui sont utilisées pour
l’assemblage des pièces dans les usines, au
cours d’opérations qui peuvent être soit
automatisées, soit manuelles. Certains de ces
équipements sont des visseuses électriques
asservies qui, au moyen de protocoles
généralement spécifiques à chaque fabricant,
produisent des données (code de process,
ordre envoyé, résultat opérationnel, énergie
consommée, etc.). Si ces outils ne supportent
pas nativement les communications
au standard client-serveur OPC UA, les
fournisseurs qui équipent les usines Renault
en visseuses électriques, se sont engagés à
développer de tels produits en 2019.

Là encore, un modèle de données a été mis au
point pour assurer la traçabilité des opérations
réalisés au moyen des visseuses pendant
l’assemblage des moteurs. La description qui,
entre autres, comprend : le numéro du moteur,
le type de visseuse, l’unité de couple, la valeur
de cette unité appliquée au serrage, etc.

Une autre initiative s’est attelée à la
modélisation de la charge des batteries
destinées aux véhicules électriques. A la fin de
l’année 2018, quelque 80 000 points de mesure
ont été connectés au système de collecte
en s’adaptant à la diversité des équipements
existants par la mise au point de connecteurs
OPC UA spécifiques.

En l’état actuel, l’Internet industriel des objets
du groupe Renault consiste à connecter les
sources de données vers différents réservoirs
en traversant d’abord la passerelle IoT Box où
s’opère la transformation entre les protocoles
souvent spécifiques des équipements et le
standard OPC UA (Schéma 5).

En 2019, le projet « Connected Plant » va
s’attacher à modéliser les données dans les
lignes de fabrication en créant des descriptifs
adaptés aux centres d’usinage, aux tours, aux
fraiseuses et aux machines spéciales, ce qui
devrait porter à 200 000, le nombre de points
de mesure connectés avec les réservoirs
de données du groupe. Le constructeur
automobile travaille avec ses fournisseurs
pour que ces derniers implémentent OPC UA
dans leurs équipements ou qu’ils œuvrent
à son portage dans les logiciels embarqués
(firmwares). Dans le même temps, les modèles de données vont être largement partagés
afin que tous les sites profitent de la synergie
qu’ils apportent pour disposer d’indicateurs
fiables, reproductibles et duplicables presque
immédiatement.

Pour l’ensemble des équipes concernées par le
projet « Connected Plant », les objectifs pour
la fin de l’année 2020, consistent à déployer
des canaux de communication bidirectionnels
qui, de l’objet connecté industriel et des
applications IT ou OT, aux centres de stockage,
permettent la circulation des données
industrielles en s’appuyant sur un protocole
unique : OPC UA.

A ce stade, le groupe Renault souhaite créer
un standard international de réseau industriel
pour les constructeurs et les équipementiers
automobiles afin qu’ils soient en mesure
d’enrichir et de partager leurs modèles
de données partout dans le monde. C’est
exactement la fonction que remplit Internet
dans la sphère publique.

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