Flexibilité, adaptabilité,
personnalisation… la digitalisation
porte des promesses qui semblent
aller à contre-courant de la
vocation première de l’industrie:
produire toujours plus vite et
toujours moins cher, des objets
identiques qui seront vendus
partout sur la planète. Pour
l’enseignant-chercheur Xavier
Delorme, la technologie ne peut
pas tout, l’humain si, quand on lui
en donne les moyens.
Durant la première moitié du 20 Henry Ford a fait une plaisanterie restée célèbre sur le sujet : « les gens e siècle,
peuvent choisir n’importe quelle couleur pour
la Ford T, dès lors que c’est noir. » Les
constructeurs automobiles ont heureusement
depuis, réussi non seulement à varier la
couleur des véhicules mais aussi, les
motorisations et les finitions, tout permettant
d’ajouter quelques options plus ou moins
luxueuses pour les clients les plus exigeants
sans tourner le dos à la production de masse.
La personnalisation des produits n’est que
l’un des aspects que revêt la flexibilisation
de l’appareil industriel. Dans les grands
territoires industrialisés que sont l’Europe et
l’Amérique du nord, la reconquête des
marchés mondiaux passe par un
élargissement des catalogues de produits,
sans remettre entièrement en cause les
investissements réalisés par les entreprises.
De nouvelles technologies comme la
robotique collaborative ou le suivi
minutieux de chaque étape de la production
grâce à l’Internet industriel des objets (IIoT)
peuvent s’ajouter aux équipements déjà en
place tandis que des efforts sont réalisés
pour améliorer l’automatisation.
Mais le défi que pose l’Industrie du Futur
est-il exclusivement matériel au point que
le salut des entreprises ne reposerait que
sur des investissements massifs pour se
lancer dans une course effrénée aux
nouvelles technologies ?
Professeur de l’Institut Mines-Télécom,
enseignant-chercheur à Mines Saint-
Étienne, Xavier Delorme insiste sur la
nécessité de ne pas négliger le capital
humain de l’entreprise qui à ses yeux, reste
le meilleur garant pour augmenter à coup
sûr la flexibilité et l’agilité à tous les niveaux
de la production.
L’évolution des attentes des consommateurs
quand il s’agit de biens courants et plus
généralement des clients des entreprises
industrielles, est de plus en plus rapide. On
veut des produits plus légers, faciles à entretenir, moins consommateur d’énergie,
recyclables, évolutifs, reconfigurables… la
liste est interminable.
Bien sûr, on pense immédiatement à
l’automatisation, à la robotique et aux
technologies numériques pour gagner en
adaptabilité afin de répondre aussi
largement que possible à toutes les attentes
qui s’exprime. Mais pour répondre à tous les
cas de figure connus et garder une marge
pour satisfaire ceux qui viendront
logiquement, à court terme, il faut consentir
à réaliser des investissements très coûteux
et dont les possibilités resteront de toutes
façons limitées, quel que soit l’effort
accompli.
La même remarque peut d’ailleurs
s’appliquer aux gains de productivité.
Pourquoi consentir à réaliser un
investissement élevé pour atteindre un
niveau de productivité qui n’est nécessaire
que quelques jours ou quelques semaines
par an. Cela conduit à un gâchis de
ressources et de moyens…
Dans ces conditions comment aller vers
plus de flexibilité et gagner en agilité ?
Il faut confier la flexibilité et l’adaptabilité à
des humains. Le système de production doit
être un environnement où interagissent des
ressources technologiques comme des
automates, des robots industriels et des
intelligences artificielles, et des hommes et
des femmes qui eux, ont la capacité de
s’adapter aux changements de situations en
réagissant de manière autonome dans des
temps extrêmement courts.
Pour cela, il faut réunir deux conditions.
D’abord, il faut donner aux hommes et aux
femmes, les moyens de comprendre leurs
rôles dans le processus de production à un
niveau suffisamment global pour qu’ils soient
en capacité d’intervenir de manière
pertinente et avec du recul. On est là à 180°
de l’option qui consiste à absorber les pics
de production en faisant appel à une main
d’œuvre temporaire qui ne peut avoir le
niveau de connaissance requis pour être
pleinement efficace.
Ensuite, il est fondamental d’accompagner
ce processus pour éviter des dérives comme
par exemple, une trop forte implication des
hommes et des femmes, qui pourrait les
pousser à s’investir au détriment de leur
santé, par exemple. Pour cela, il faut aussi
repenser les postes de travail, notamment
en termes d’ergonomie mais aussi, en termes
d’organisation pour absorber la surcharge de
travail quand elle survient.
Cette approche est-elle déjà explorée par
des entreprises, notamment en Europe ?
Je peux citer deux exemples significatifs.
Celui de la société allemande Mbtech,
rachetée par le groupe français AKKA qui a
réorganisé sa production afin d’arriver à
augmentation substantielle de la
performance Les opérateurs et les
opératrices ont été formés pour leur
permettre d’être mobiles. Ils peuvent aller
d’un poste de travail à un autre en fonction
de leur perception des nécessités pour la
tâche à accomplir.
L’entreprise est en capacité de répondre aux
besoins de sa production sans accroître le
matériel et les équipements, ce qui lui évite
d’avoir un système surdimensionné. La
flexibilité est apportée par les gens dès lors
que tout est fait pour qu’ils en aient les
capacités, l’envie et les compétences.
Chaque personne doit avoir la
compréhension du système de production
dans son ensemble pour être en mesure de
savoir où elle doit intervenir.
Un autre exemple est celui de la société
bordelaise Boa Concept qui conçoit et
fabrique des systèmes de convoyage
modulaires qui prennent la forme de briques
qu’il est possible d’agencer très aisément
grâce à une technologie de type, plug and
play. Cette société abandonne
progressivement le modèle consistant à
vendre des convoyeurs pour proposer à la
place un service de convoyage industriel
dans lequel figure, la fourniture des
équipements, leur installations, l’entretien la
maintenance et même, le suivi des besoins.
La plupart des salariés de cette entreprise
ont été formés pour être capables
d’intervenir chez les clients afin de réaliser
les visites périodiques. Ils ont aussi acquis les
compétences qui leurs permettent de
remonter des informations à leur entreprise
pour qu’elles s’ajoutent aux données
collectées automatiquement par ailleurs.
Grâce à ces informations pertinentes
puisque venant d’un esprit critique, les
ingénieurs et techniciens chargés du suivi de
la clientèle, peuvent proposer des services
additionnels ou même, une évolution de la
configuration si les besoins du client ont
manifestement évolué.
Pour conclure, redonnons la parole à Henry
Ford : « les deux choses les plus importantes
qui n’apparaissent pas au bilan de
l’entreprise sont sa réputation et ses
hommes. » Tout est dit !