Par Pascal Faure, Directeur
Général de la Compétitivité, de l’Industrie et des Services (DGCIS)
L’importance du
numérique est cruciale pour la compétitivité des entreprises de demain, et leur
organisation, leur système de production, leurs marchés, leur capacité
d’innovation, seront dans presque tous les métiers largement impactés par le
numérique, directement ou indirectement. Lors des assises de l’entrepreneuriat
organisées par le président de la République les entreprises et experts ont
convergé sur ces constats.
Le numérique structure
les entreprises de demain
L’environnement
dans lequel les entreprises vont évoluer à l’horizon 2020-2030 sera influencé
par plusieurs facteurs qui forgent le cadre de ce qu’on s’accorde à nommer
industries et services intelligents. Parmi ces facteurs, figurent la diffusion
des nouvelles technologies, en particulier numériques, au sein de la société,
le travail coopératif, la montée en puissance de productions
micro-industrielles, à la demande et décentralisées, rendue possible par les
systèmes de production avancés. Cela implique que les entreprises de demain
seront polymorphes, transgressant les frontières classiques entre services et
industries, valeur ajoutée matérielle et immatérielle, entreprise technologique
et non-technologique. Qu’elles seront collaboratives et travailleront en réseau
avec l’ensemble de leur écosystème (autres entreprises, acteurs institutionnels
et sociaux, clients, salariés, citoyens) pour concevoir, produire et distribuer
leurs produits/services – et dans certains cas leur propre énergie.
Qu’elles utiliseront les nouvelles technologies, notamment numérique, comme
levier de création de valeur, même lorsque l’entreprise n’évolue pas dans le
secteur technologique. Qu’elles seront hyper-connectées aux données externes et
s’ouvriront pour innover dans une optique de co-création de valeur avec les acteurs
de leur écosystème. Qu’elles seront organisées suivant une forme moins
hiérarchique et moins centralisée, sous l’effet des multiples « intelligences
connectées » et des exigences de coopération des nouvelles
générations. Ces modifications sont à l’œuvre dès maintenant.
L’impératif de
productivité, l’accès aux marchés extérieurs
L’emploi,
première priorité des Français et du gouvernement, dépend de la croissance qui,
elle-même, dépend ultimement de la compétitivité des entreprises et de leur
productivité. Celle-ci doit donc être renforcée, tant dans l’industrie que dans
les services, ces derniers étant de plus en plus entrecroisés avec l’industrie,
et, par leur poids dans l’économie, majeurs, alors que les efforts de
productivité et d’efficacité y ont été en moyenne plus faibles en France que
dans l’industrie jusqu’à une période récente. Simultanément, dans un monde qui
continue à croître – mais où la croissance est en moyenne plus forte
que sur le territoire national -, il importe d’orienter les outils numériques
en faveur d’innovations, de produits, qui s’adaptent aux marchés à croissance
rapide et forte valeur ajoutée, où qu’ils soient dans le monde. Cela passe,
pour les grandes structures, par des réorganisations de chaînes de valeur, qui
conservent dans toute la mesure du possible au territoire national une part
importante de valeur ajoutée et d’emplois. Les études convergent pour laisser
espérer des gains de productivité significatifs en l’espèce.
Cette recherche de
productivité et de performance dans l’industrie manufacturière et les services
liés ou à forte valeur ajoutée, passe par l’intégration et l’exploitation des
technologies du logiciel et du numérique dans les processus de production
(capteurs, logiciels de pilotage, simulation, robotique, objets connectés…).
A titre d’exemple, afin d’engendrer des gains de productivité significatifs,
l’informatique dans les usines doit gagner en agilité, en intégration, en
automatisation et en intelligence entre les multiples fonctions qui la
composent. Pour ce faire, beaucoup de solutions développées pour l’informatique
de gestion peuvent être adaptées à l’informatique de production (PLM, CAO…).
Il s’agit donc de développer et adapter les technologies numériques aux besoins
industriels, ainsi que des projets de démonstrateurs pilotes. Cela concerne
également la logistique, le marketing, la promotion des marques, la gestion
intelligente et conquérante de la propriété intellectuelle.
Agir à tous les niveaux,
individuel, entreprises, filières, sphère publique
Le
numérique permet à fois des gains de productivité au niveau des
individus : outils de conception accès aux grandes bases de données (« big data »), gains de coût grâce au cloud
computing en prenant garde à sa sécurisation. Il les permet au niveau des ateliers,
des services opérationnels des entreprises, de leur R&D. Il les permet
aussi entre entreprises : il s’agit également de dématérialiser les
échanges, au niveau de la conception ou de la chaîne d’approvisionnement, entre
les différents maillons de la chaîne de valeur d’une filière, ce qui permet
d’importants gains de compétitivité de l’ensemble de la filière, et requiert de
ne pas agir isolément mais selon la logique de filières et de grands projets
que l’Etat, pour sa part en liaison étroite avec les entreprises et les
fédérations professionnelles, a mis en œuvre.
A
titre d’exemple, des projets ambitieux portés par les acteurs importants d’une
filière, à l’image de la plateforme Boost-Aéro pour l’aéronautique, ont fait la
preuve de leur efficacité économique et de la facilité de mise en œuvre par les
PME. Les filières économiques portées par quelques grands donneurs d’ordre avec
plusieurs niveaux de sous-traitance sont particulièrement adaptées pour répéter
cette démarche d’utilisation d’outils partagés tout au long de la chaîne de
valeur.
De
telles démarches sont aussi à l’œuvre pour la sphère publique, et sont
nécessaires pour la rendre plus réactive, alléger les coûts administratifs pour
les entreprises, et réduire plus globalement le coût de la sphère publique, à
qualité de service au moins égale. Une mutation en profondeur de
l’environnement administratif et réglementaire des entreprises est nécessaire
pour se préparer à demain.
Il s’agit de permettre
l’accès à un espace numérique unifié, de simplifier l’environnement et les
procédures administratives et les rendre plus interactives, d’auditer les
délais de réponse des administrations, de mettre à disposition des entreprises,
via les « open data » les informations et
données publiques qui leur faciliteront le développement de produits et de
services, et plus généralement leur développement tant national
qu’international (et sur ce dernier point de mieux déployer les réseaux
mondiaux publics d’intelligence économique au profit des entreprises françaises).
Il s’agit aussi de
favoriser l’innovation dans le logiciel, ce à quoi servent et le programme
d’investissement d’avenir, et les pôles de compétitivité dédiés à cet effet. De
développer les fablabs. De développer les usages des TIC et la robotisation
dans les PME, en s’appuyant sur les structures professionnelles.
Il s’agit d’avoir de
plus en plus recours, dans le domaine de l’enseignement et de l’enseignement
supérieur, aux progrès que permet le numérique. Les cours massivement en ligne
(MOOCs), sont à cet égard un enjeu considérable pour l’avenir : la
compétitivité des entreprises dépend ultimement de la qualité des femmes et des
hommes qui les composent, de leurs formations initiales et tout au long de la
vie.
Il s’agit également
d’avoir de meilleurs accès aux capitaux nécessaires. A cet égard on voit par
exemple se développer des formes de notation des PME fondées sur des flux de
données plus importants que ce dont disposent d’ordinaire les banques, et qui
sont de nature à améliorer la nécessaire confiance. Mais aussi, des opérations
comme le financement de masse (crowdfunding).
Il s’agit enfin de
développer la culture scientifique et technique, cruciale pour disposer, sur le
très long terme, d’une population bien au fait de l’état de l’art dans les
diverses disciplines, d’en mesurer les possibilités et d’en réduire les
risques, et capable ainsi de répondre au mieux aux attentes et besoins futurs.
Cet enjeu nous concerne
tous. La démarche est engagé e par le ministre du redressement productif, au
travers du soutien à un plan industriel relatif à l’usine du futur. Il doit
mobiliser chacun comme l’une des voies majeures pour aider le pays à sortir de
la crise, et renforcer la confiance qu’il doit avoir en son avenir. s
Pascal Faure
- Né le 1er
février 1963 à Nice. Ingénieur général des Mines. - Diplômé de
l’École polytechnique et de l’École nationale supérieure des télécommunications
de Paris. - Débute sa carrière
dans la R&D aux Laboratoires Bell, chez Apple Computer puis au Centre
national d’études des télécommunications (France Télécom/CNET). Travaille dans
divers ministères de 1992 à 1995. De 2007 à 2012, successivement nommé
Vice-président du Conseil Général des Technologies de l’Information (CGTI),
Vice-président du Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des
technologies (CGIET) et Vice-président du Conseil Général de l’Economie, de
l’Industrie, de l’Energie et des Technologies (CGEIET).