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REGARDS FRANCO-ALLEMANDS SUR L’AVENIR DE L’INDUSTRIE

Sous la direction de Vincent Charlet, Stefan
Dehnert et Thierry Germain, La Fabrique de
l’Industrie dresse un constat des discussions, des
rapprochements et des enrichissements mutuels
qui s’opèrent entre les visions allemandes et
françaises de l’avenir de l’industrie en Europe.
N’éludant ni les questions techniques, ni les
questions sociales, ce document accessible en
ligne est à dévorer d’urgence.

Industrie 4.0 en Allemagne, Industrie du Futur en France… Il y a là
plus qu’une différence de vocabulaire. Derrière ces nuances, se
dissimule le fait que la situation de l’industrie est sensiblement
différente dans les deux pays et que les attentes à l’égard de la
numérisation de l’industrie ne sont pas identiques.

L’ambition de l’Allemagne est de conserver son leadership industriel,
en particulier dans les biens d’équipement, face à une concurrence
mondiale de plus en plus intense ; l’industrie française connaît, elle,
des difficultés dans de nombreux secteurs d’activité et doit réussir à
monter en gamme pour capter une part de valeur significative aux
articulations stratégiques des chaînes de valeur mondialisées.

En dépit de ces différences, les deux pays ont compris qu’ils ont un
intérêt évident à coopérer sur ce sujet. Notamment pour enclencher
un effet d’entraînement à l’échelon européen, qui représente plus
que jamais l’espace naturel de déploiement de l’industrie du futur
pour nos pays face aux continents nord-américain et asiatique. Des
sujets comme les standards de communication communs, la
sécurisation des données, le marché unique du numérique ont
vocation à être abordés au niveau européen. Ce qui se joue est
capital : le maintien d’une industrie européenne compétitive au sein
d’une économie-monde. « La France et l’Allemagne doivent être un
moteur numérique en Europe » , affirme l’ancien président de la
République français lors de la première édition de la conférence
franco-allemande sur l’économie numérique fin 2015.

Les instances et lieux d’échange franco-allemands se multiplient
donc, à l’échelon intergouvernemental, consulaire ou
interprofessionnel, pour s’inspirer les uns des autres et partager les
bonnes pratiques relatives à l’accompagnement des entreprises vers
la transformation digitale, au financement de la croissance des
start-up, aux collaborations entre start-up et grands groupes, mais
aussi en matière de formation initiale et professionnelle et
d’évolution des systèmes de protection sociale.

Car France et Allemagne partagent également la préoccupation
d’assurer la montée en compétence des travailleurs pour affronter la transformation numérique, tout en garantissant la cohésion sociale
dans la phase de transition, alors même que l’ensemble des
répercussions de cette quatrième révolution industrielle restent
encore incertaines.

L’industrie du futur entraîne des transformations dans l’organisation
du travail qui sont d’ores et déjà visibles : elle introduit une plus
grande flexibilité, une décentralisation ainsi qu’une relative
déhiérarchisation du travail. Ces tendances se traduisent en autant
de risques que d’opportunités pour tous ceux qui, de près ou de loin,
travaillent pour l’industrie. Parmi les risques, on redoute la
généralisation du travail à distance, mettant à mal les collectifs de
travail et les solidarités, la surveillance accrue des travailleurs, les
stratégies de dumping social entre salariés et indépendants dans
l’entreprise étendue, et la dislocation des protections sociales. Au
registre des opportunités, l’industrie du futur peut offrir aux
travailleurs une meilleure place dans le processus décisionnel, avec
des activités enrichies par la responsabilité et l’autonomie, un
développement continu de leurs compétences et un meilleur
équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Alors que le débat
médiatique se concentre sur les conséquences macro-économiques
de la robotisation pour l’emploi, les préoccupations concernent
également la montée des inégalités.

L’industrie 4.0 fait craindre une élévation de la part des travailleurs les
plus qualifiés dans l’emploi au détriment des moins qualifiés déjà
surreprésentés parmi les chômeurs de longue durée.
La modernisation de l’industrie exercera également une influence sur
la géographie des usines, pouvant induire ou renforcer les
déséquilibres territoriaux. La qualité des réseaux et le dynamisme des
écosystèmes connectés deviendront progressivement un critère
primordial de localisation des sites industriels, ne serait-ce que par
souci de facilité de recrutement.

Face à ces incertitudes, il importe de garder à l’esprit qu’une
technologie n’est ni bonne, ni mauvaise, ni neutre. Cette dernière
notion d’absence de neutralité implique que sa puissance nécessite
une prise de conscience éthique et politique pour aboutir à la
construction d’un nouveau système de valeurs qui ne soit pas la
simple répétition du passé. Les pouvoirs publics, les chercheurs, les
entreprises et les citoyens européens ont un rôle crucial à jouer pour
accompagner l’avènement de l’industrie du futur et compenser ou
corriger les mutations en cours. Entre la croyance au déterminisme
technologique et le moralisme technophobe, il y a un chemin à
construire… ensemble.

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