Réseaux

Smart grids : tout est là !

Encore un peu flous pour le commun des
mortels, le concept de réseau intelligent, tout doucement, une réalité. Et
s’ils impliquent l’usage de nouveaux outils pointus à chaque étape du
processus, l’ensemble des matériels et logiciels nécessaires à leur bon fonctionnement
sont déjà disponibles.

 

Smart grid.
Tout le monde connaît ce terme, sans pour autant pouvoir le décrire
précisément.  La Commission de régulation
de l’électricité (CRE), autorité administrative indépendante chargée de veiller
au bon fonctionnement des marchés de l’électricité et du gaz en France, en
donne pourtant une définition officielle claire : « ce sont les réseaux
électriques publics auxquels sont ajoutés des fonctionnalités issues des
nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Le but
est d’assurer l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité à tout
instant et de fournir un approvisionnement sûr, durable et compétitif aux
consommateurs ». « La différence entre un grid et un smart grid est la même qu’entre
un téléphone et un smartphone : on y a inséré de l’informatique et de la
communication », décrypte Sébastien Meunier, Directeur du marché Performance
Energétique chez ABB France. Autre différence importante, le réseau n’est alors
plus unidirectionnel, comme c’est encore le cas chez nous actuellement, mais
bidirectionnel, capable de délivrer de l’énergie et d’en absorber, notamment
avec la généralisation des sources d’énergie renouvelables (ENR).

 

La machine est en marche

Selon
Florent Germain, smart grid business leader chez Schneider Electric, trois
facteurs principaux poussent ces smart grids : « la demande croît avec de
nouveaux usages [la pointe record enregistrée en France a atteint 101 GWh un
soir à 19h, Ndlr], on nous impose un nouveau mix énergétique avec 20% d’ENR et
on se dirige vers une saturation des réseaux, car nous cherchons sans cesse à
passer plus d’énergie dans les mêmes câbles ». En outre, on attache désormais
davantage d’importance à la qualité de l’énergie, en particulier en cherchant à
réduire les temps de coupure pour le consommateur final. Toujours selon Florent
Germain, s’ajoute à cela trois accélérateurs : l’évolution technologique  informatique, avec l’arrivée des smartphones
et autres tablettes tactiles, l’implication de la CRE et du gouvernement et
l’arrivée imminente du compteur communicant Linki chez tous les particuliers.
En France, un nouveau catalyseur est également en marche. « Beaucoup de choses
vont commencer cette année au second semestre avec le débat sur la transition
énergétique », note Géraldine Trapp, Responsable du pôle conférence pour le
congrès SG Paris 2013.

 

Des besoins nouveaux

Le principe
du réseau intelligent est simple : à tout instant, il détermine le besoin en
énergie côté consommation et le compare avec les capacités de production à
l’instant t. En fonction du résultat, il faudra piloter les différents organes
du réseau pour produire plus ou moins et/ou consommer moins. Cette évolution
importante implique tous les acteurs de la chaîne, des producteurs d’énergie  aux consommateurs, en passant par les
transporteurs et distributeurs d’énergie responsables des lignes et des postes
de transformation successifs. Et tous ces acteurs du smart grid ont besoin
d’outils pour faire fonctionner le dispositif.

 

Produire

Pour les
producteurs d’énergie, la problématique consiste à assurer la continuité de la
fourniture électrique, en intégrant les nouvelles sources renouvelables. « Ils
ont besoin d’outils leur permettant de visualiser en permanence leurs capacités
à l’échelle nationale et internationale et d’optimiser les interventions de
maintenance sur leurs équipements », note Grégory Guiheneuf, directeur
marketing Factory Systèmes et Wonderware France. Pour Dong Energy, au Danemark,
l’éditeur de la plateforme Archestra a ainsi implémenté une solution de «
centrale virtuelle » modélisant tous ses moyens pour les comparer à la demande
en temps réel (attention toutefois, dans ce domaine, le temps réel se compte en
secondes…). Désormais, des acteurs comme GDF Suez exigent également d’outils
analogues de pouvoir, très rapidement, intégrer dans la boucle des moyens
supplémentaires, des champs d’éoliennes notamment, en employant le protocole
IEC 61850, et développer de nouvelles fonctionnalités. Des solutions comme
Panorama et Panorama IT, de Codrat, sont quant à elles actuellement utilisées
pour de la supervision de moyens de production, mais aussi pour piloter, par
exemple, des flux d’énergie entre la France et l’Angleterre.

 

Pour Transporter et distribuer

Dans ce
domaine, justement, la tâche est importante. Il s’agit de surveiller de près le
transfert de l’énergie sous ses différentes formes (en termes de tension).
Alstom Grid, par exemple, fournit des salles de commande complètes et toutes
les technologies de l’information et de la communication (TIC) associées. « Ces
plates-formes couvrent l’analyse de l’encombrement du réseau et des événements
imprévus, la gestion de la stabilité du réseau, les prévisions pour les
énergies renouvelables et estimations en temps réel, le système de gestion de
la distribution (iDMS chez Alstom Grid) intégrant le réseau, la gestion des
coupures et analyse des flux de charge sur la distribution, la gestion de la
demande-réponse et la gestion des ressources du réseau et surveillance de
l’état », explique-t-on chez Alstom Grid. « Dans les logiciels, il y a deux
catégories, note Florent Germain de Schneider Electric, les outils de conduite
de réseau pour mesurer et réagir, et les solutions connexes comme la gestion de
la météorologie ». Le Français est sur les deux domaines.

Autre point
important, « il faut des systèmes intelligents 
qui mesurent la qualité (fréquence, bruit…) de l’énergie transportée,
mais aussi des switches pour équilibrer le réseau et rendre les circuits
auto-cicatrisants en étant capable de détecter un problème et d’isoler le
circuit concerné », explique José Albuquerque, responsable des comptes Energie
chez National Instruments.  On parle
alors d’Asset monitoring. Et dans ce domaine, il faut alors capter des
informations à moins que la seconde. Dans ce domaine, National Instruments a
notamment mis au point le Smart-grid analyser, capable de mesurer et analyser
les signaux électriques et communiquer ses données via le bus IEC 61850. Pour
RTE, en France, l’Américain également a mis au point un « phaseur », un
dispositif de mesure, dans les sous-stations, de la tension, du courant et de
la phase des signaux (les problèmes de phase sont à l’origine de surtension ou
de sous tension sur le réseau). Il emploie en particulier des technologies GPS
pour localiser et, surtout, dater les mesures, afin d’obtenir des données
comparables.

Bien sûr,
les différents équipements utilisés, dans les stations  et sous-stations, dans les postes de
transformation, les lignes d’alimentation, etc. doivent disposer du degré
d’automatisme et de protection nécessaires, fournis par les grands acteurs du
secteur.

 

Pour Convertir les énergies

Dans un
smart grid, l’électricité est fournie par des centrales de toutes sortes, mais
aussi des éoliennes, des panneaux solaires et, pourquoi pas, des véhicules
électriques (VE) connectées au réseau. Des sources de courants alternatifs ou
continus, de différentes tensions et puissance, qui doivent pouvoir être
injectées dans le réseau ou stockées dans des batteries. Là encore, il faut
disposer de l’électronique de puissance nécessaire à la conversion d’énergie
AC/AC, AC/DC, DC/AC, DC/DC, à la charge des VE, … 

 

Mesurer la consommation

« C’est un
point essentiel du smart grid. La problématique est la même que pour le trafic
routier. Il faut construire le « bison futé » de l’énergie », affirme Patrice
Caillaud, Directeur commercial et marketing électricité du fabricant de
compteurs Itron. Et la tâche est colossale. « Il faut mesurer  à tous les points de consommation et de
bifurcation et aux points de transformation », préconise le spécialiste.
L’entreprise poitevine produit des solutions de comptage pour  tous ces points. Elle est aussi impliquée
dans le projet français de compteur intelligent Linki, qui attend encore le
déploiement au niveau national (on parle de 35 millions de compteurs pour le
résidentiel). En termes de technologie, « seul le capteur change selon
l’application », explique Patrice Caillaud. Quant à la communication, plusieurs
solutions sont utilisées : GPRS pour les postes isolés, CPL pour le
résidentiel, Zigbee sur les sites industriels…

Pour le
smart grid, ces mesures vont servir à déterminer la demande, mais aussi à la
gérer intelligemment. Les gros consommateurs ne peuvent pas être traités comme
les petits, mais le principe à appliquer est le même : écrêter les pointes de
consommation en organisant des effacements, ou délestages, c’est-à-dire la
coupure momentanée de certains appareils pour limiter l’appel de courant
instantané. Dans le résidentiel et le tertiaire, on entre alors dans le domaine
de la gestion technique des bâtiments (GTB). En complément des compteurs
intelligents et des systèmes d’automatisation intégrés dans les bâtiments, des
solutions de type « supervision » d’acteurs comme Wonderware, Schneider
Electric ou Codrat, entre autres, capables de collecter les données et de
piloter intelligemment les organes automatisés : chauffage, éclairage, volets
roulants, ventilation, etc. La dernière tendance dans ce domaine ?
Analyser la signature électriques des appareils ménagers dans les bâtiments
afin détecter la connexion d’un réfrigérateur, d’une machine à laver, d’un
lave-vaisselle ou d’un téléviseur, et pouvoir « attribuer » des quantités
d’énergie données à chaque étage d’un bâtiment, en accord avec la
réglementation thermique RT 2012. 

 

Smart factory et efficacité énergétique

Le smart
grid implique donc la naissance d’une smart-city construite pour tirer parti du
dispositif. Il faudra aussi des smart factories, ou usines intelligentes. Là
aussi, « pour passer de l’usine à la smart factory, il y a deux conditions : le
comptage et le pilotage du process. Mais il faut d’abord s’attaquer à
l’efficacité énergétique des procédés industriels, sans oublier que sur un site
industriel, il y a aussi un bâtiment », déclare Sébastien Meunier, d’ABB
France. Autrement dit, il est urgent d’installer des systèmes de comptage en
entrée du site, mais aussi de sous-comptage aux endroits critiques des usines,
pour tracer précisément leurs consommations. Ainsi, si le grid envoie un
message qui annonce une hausse du prix dans quelques heures, l’industriel
pourra faire ses choix de délestage en conséquence. Un travail réalisé avec des
moules de gestion d’énergie construit à partir de solutions de type
supervision. Le jeu en vaut la chandelle. « Pour certains industriels, la part
de l’énergie représente de 15 à 40% du coût de production, affirme Grégory
Guiheneuf. Mais « Il faut de l’investissement pour placer les unités de
comptage », reconnaît-il. Autre avanta
e d’un comptage in situ, il permettra
aux industriels de détecter la génération d’harmoniques  et de puissance réactive qui risquent aussi
d’augmenter leur facture.

 

On y est presque…

« Il n’est
pas nécessaire d’attendre le smart grid pour mettre en place ce type de solutions
», note Sébastien Meunier. Un conseil judicieux, d’autant que, si toutes les
technologies nécessaires au bon fonctionnement des réseaux intelligents sont
déjà disponibles, leur déploiement tarde dans l’Hexagone. En cause,
l’attentisme de l’Etat face aux changements de réglementation nécessaires
(notre modèle actuel reposant sur la régulation ne peut convenir au concept du
smart grid) mais aussi le manque de business model adéquat pour ces solutions
inédites. Qui fait quoi ? Comment valorise-t-on les effacements ? Qui installe
le matériel ? Qui prend la responsabilité des compteurs sur les réseaux ? Qui
prend en charge les investissements ? Qui prend en charge les pertes
financières liées aux pertes en charge ? Autant de question qui tardent
vraiment à trouver des réponses.

Les choses
avancent. D’abord, une trentaine de projets sont actuellement en cours partout
en France, qui permettent de valider les concepts, mais aussi de fédérer les
acteurs autour de solutions communes. Car en termes de business, une des
particularités du smart grid tient dans le fait qu’il nécessite pour les
acteurs de travailler en partenariat pour construire des solutions globales.
Parallèlement, de nouveaux acteurs apparaissent, notamment pour la valorisation
des effacements auprès de (gros) consommateurs, et d’autres acteurs s’invitent
à la table, comme les spécialistes des télécommunications, qui voient dans la
transmission de milliers d’informations en continu la promesse d’un business
juteux… Pendant ce temps aussi, les solutions techniques s’affinent. « Cette
année, beaucoup de projets arrivent au stade de retour d’expérience. Des
solutions seront abandonnées, d’autres encouragées… », commente Florent
Germain. Reste que dans des pays du Nord de l’Europe, aux Etats-Unis, en Chine
et en Inde, les pilotes ont déjà laissé place au déploiement de solutions
concrètes et, si les Français ne font rien, ils pourraient bien passer d’un
statut de leader dans le domaine à celui de suiveur, voire de looser. Il ne
tient qu’à eux d’éviter le smart bid !

 

Un smart grid tropical

Dans les
territoires insulaires de l’Hexagone, les DOM-TOM en particulier, le
déploiement de sources d’énergies renouvelables a été très rapide ces dernières
années. Leur poids devient important face aux sources conventionnelles, au
point qu’il existe un risque de de black-out lorsque le soleil est soudainement
masqué par un nuage ! Pour éviter cela, à la Réunion, par exemple, le
gestionnaire de réseau de l’île a investi dans un système dédié, fourni par
Itron, chargé de protéger le réseau. Son objectif : déterminer à chaque instant
la part d’énergie renouvelable dans la production et, en cas de dépassement
d’un seuil de 30%, couper le robinet à certains fournisseurs, en l’occurrence
les derniers arrivants dans le réseau. Parallèlement, ce dispositif permet  de détecter tout incident potentiel sur le
réseau et d’intervenir si nécessaire. Concrètement, toutes les cinq minutes, le
système d’Itron collecte et transmet par GPRS les données de 500 points de
comptage répartis dans l’île et les agrège pour calculer le ratio Production
d’énergies vertes/ production totale. Dans les faits, ce dispositif est donc un
smart grid, dans la mesure où il régule la production et garantit la sécurité
du réseau. En revanche, cette production n’est pas directement dépendante de la
demande des consommateurs.

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