Les techniques d’Intelligence Artificielle (IA) peuvent être mises au service des solutions de surveillance de l’état de fonctionnement des équipements industriels. Ces solutions permettent à la fois de déceler des phénomènes qui se sont déjà produits tout en identifiant certains autres qui présentent un caractère inédit. Entretien avec Jean-François Bouin, président et cofondateur de Diagrams Technologies, qui propose une solution logicielle de maintenance prédictive permettant la détection précoce d’anomalies.
Pourquoi l’intelligence artificielle est-elle adaptée à la maintenance prédictive ?
Jean-François Bouin : L’industrie est un environnement complexe avec un parc de machines hétérogènes, une forte variabilité de production et si certaines pannes sont récurrentes et connues, beaucoup sont nouvelles ! Il faut donc pouvoir déployer des solutions d’intelligence artificielle (IA) capables d’identifier de nouveaux comportements anormaux et diagnostiquer de nouveaux types de dysfonctionnements. C’est précisément ce que nous proposons chez Diagrams. Notre solution de maintenance prédictive permet de faire de la détection précoce d’anomalies avec une approche non supervisée, sans chercher à reconnaître un fonctionnement anormal mais en cherchant à détecter que le fonctionnement est simplement inhabituel. L’objectif est de surveiller l’état de santé des équipements, de détecter au plus tôt les signes avant-coureurs de tous types de défaillances et d’informer rapidement les équipes de maintenance d’un éventuel problème afin qu’elles puissent intervenir au bon moment. L’IA est dans ce contexte un formidable allié pour les opérationnels qui passent ainsi moins de temps à résoudre des problèmes urgents et retrouvent de la sérénité et du temps pour travailler sur des tâches à plus forte valeur ajoutée comme pour la fiabilisation des machines.
En quoi les techniques d’IA se distinguent des traitements informatiques conventionnels ?
Jean-François Bouin : Les approches traditionnelles visent à déceler des événements en se basant sur des phénomènes et des règles connus par les experts du domaine, comme par exemple alerter en cas de dépassement de seuil sur un simple capteur. Ces approches sont limitées car elles sont figées dans le temps et peuvent être chronophages car elles exigent la traduction de connaissances d’experts en des règles spécifiques. Mais cela ne suffit pas lorsque l’on veut suivre les dérives de fonctionnement dans le temps, comprendre les évolutions ou découvrir des éléments déterminants sur un spectre de paramètres plus étendu et plus varié et qui peuvent s’avérer être tout à fait inédits. C’est précisément ce qu’offrent les techniques d’IA qui vont chercher à s’appuyer sur un historique de données pour apprendre et identifier ce qui semble normal ou anormal dans le fonctionnement d’une machine ou le déroulement d’un processus. Par ailleurs, les techniques d’IA ont des capacités d’apprentissage qui améliorent leurs performances au fil du temps. Elles ne se basent pas sur des règles figées mais sur des modèles qui vont évoluer au fil de l’eau.
Quels sont les atouts de l’IA pour la maintenance ?
Jean-François Bouin : Les techniques d’IA permettent de surveiller en temps réel les équipements industriels, déceler des phénomènes et des comportements qui ne se sont déjà produits tout en identifiant certains qui présentent un caractère inédit. Car elles peuvent de par leurs capacités d’apprentissage faire la distinction entre le fonctionnement correct, incorrect ou simplement inhabituel d’un équipement. Grâce à l’analyse d’une variété de paramètres, elles peuvent détecter certains signaux faibles annonciateurs de pannes et prédire comment les choses peuvent évoluer. Ce qui permet de planifier les interventions de maintenance, de mobiliser le personnel technique qui interviendra au moment opportun et d’anticiper l’achat des éventuelles pièces de rechange. Pour être performantes, les techniques d’IA doivent répondre aux spécificités et aux challenges du contexte industriel : peu d’historique de pannes disponibles, variété de contexte d’utilisation des équipements, des données multi-sources, multi-formats,… C’est pourquoi l’IA de DiagRAMS est issue de plusieurs années de R&D dans le centre de recherche Inria afin de relever ces défis et proposer une solution clé en main pour les équipes de maintenance qui ont besoin d’optimiser les interventions de maintenance, d’anticiper l’achat des éventuelles pièces de rechange, de réduire les interventions en urgence. L’IA permet également d’éviter de gaspiller de la matière première et de l’énergie afin de réduire l’impact environnemental des outils de production.
Comment peut-on surveiller un équipement avec des outils à base d’IA ?
Jean-François Bouin : La machine doit être connectée afin de remonter des informations sur son état de fonctionnement et les valeurs de paramètres déterminants (débit, température, pression, vibration, courant…). Il est également nécessaire de pouvoir transmettre des informations relatives aux événements survenant durant son exploitation (interventions de maintenance). Sur les machines relativement récentes, on peut généralement se contenter des données disponibles. Dans certains cas, il faudra peut-être ajouter des capteurs. Il faut, de toutes façons et avant toutes choses, se demander quelles sont les données pertinentes fournies par la machine avant de décider l’installation de capteurs supplémentaires. et il est préférable d’étudier finement la nature des données pour ne tenir compte que de celles qui présentent une réelle valeur.
Lorsque plusieurs machines et équipements industriels sont interconnectés sur une ligne de production, il est judicieux de surveiller l’ensemble des composants jusqu’aux systèmes de convoyage par exemple. Mais pour débuter un projet, on s’intéresse généralement d’abord aux machines dites critiques, celles dont un dysfonctionnement entraîne de nombreux rebuts et des pertes financières. C’est sur ce type de machine que l’espoir de gain est le plus important lors de la mise en œuvre d’un système de surveillance à base d’IA.
Quels sont les freins à la mise en œuvre d’applications de maintenance à base d’IA ?
Jean-François Bouin : Estimer les pertes financières dues à l’arrêt ou au dysfonctionnement d’une machine reposent sur de nombreux paramètres : augmentation des rebuts, prix de la matière première, coût des pièces de rechange, retard de livraison, détérioration de la qualité, allongement des temps d’intervention de maintenance… Les industriels ont besoin d’identifier le ROI attendu sur leurs équipements. C’est pourquoi, nous accompagnons nos clients pour identifier le périmètre restreint sur lequel il y a un espoir de gain clairement identifié. Ce qui permet de jauger l’efficacité de la solution et son impact sur l’organisation de l’entreprise qui la met en œuvre. Une fois que l’ensemble du processus et des éléments à prendre en considération sont bien maîtrisés, on étend le périmètre de surveillance à d’autres équipements. Il ne faut pas commencer par ceux qui sont les plus faciles à connecter mais par ceux qui offrent un espoir de gain clairement identifié. Pour nous, un système de surveillance pour la maintenance prédictive à base d’IA doit être un outil d’aide à la décision. Il faut que le processus de prédiction soit clairement expliqué à la personne qui sera amenée à prendre des décisions. Les techniques d’IA doivent apporter une information qualifiée complémentaire aux données opérationnelles traditionnelles. Si elles délivrent seulement des informations que tous les techniciens d’un site industriel connaissent déjà, elles ne présentent pas d’intérêt.
Comment mettre en place une application à base d’IA pour la maintenance ?
Jean-François Bouin : Nous commençons par échanger avec le client pour définir le périmètre des machines à surveiller et le type de dysfonctionnement qu’il souhaite identifier. Nous nous assurons que les machines disposent des capteurs appropriés et qu’elles peuvent fournir les données indispensables à leur surveillance. Les informations à collecter et leur fréquence d’acquisition doivent être déterminées avec le concours des experts du client qui disposent d’une bonne connaissance de leurs processus industriels. On met alors en place sur les machines des passerelles de communication industrielle qui vont sélectionner, extraire, formater et envoyer les données vers notre plate-forme d’analyse accessible en mode Saas. Nous configurons notre logiciel pour répondre aux spécificités du process et des données ainsi qu’aux exigences de l’application. Nous sélectionnons l’algorithme d’IA et la méthode d’analyse de données les plus appropriés à la situation et nous paramétrons le processus de surveillance automatisé.
Quelles sont les priorités lors de leur déploiement ?
Jean-François Bouin : Les techniciens de maintenance qui connaissent parfaitement leurs machines et leurs processus d’exploitation doivent bien évidemment être impliqués lors de la préparation, le développement et le déploiement d’applications de maintenance prédictive à base d’IA. Il faut qu’ils puissent prendre conscience qu’une telle solution va leur permettre de gagner du temps. Le nombre de leurs interventions pour des réparations en urgence va diminuer. Ce qui leur permettra de se consacrer davantage à la fiabilisation des machines. Mais le succès d’un tel projet nécessite la coopération et l’implication des différentes structures de l’entreprise depuis la direction, jusqu’aux gestionnaires des systèmes informatiques en commençant bien entendu par le service de maintenance.